Sur la traduction
Lecture Osiris
Ce livre dense rassemble trois conférences de Paul Ricoeur « Défi et bonheur de la traduction », « Le paradigme de la traduction » et « « Un passage » : traduire l’intraduisible ».
Le mythe de Babel peut-être lu comme un mythe du commencement qui prend en compte une situation irréversible, comme le constat sans condamnation d’une séparation originaire. La dispersion et la confusion des langues, annoncées par ce mythe viennent couronner cette histoire de la séparation, après l’expulsion du Jardin et la perte de l’innocence, le meurtre d’Abel et le fratricide, en l’apportant au coeur de l’exercice du langage. Il y a écrit Ricoeur, un après Babel, définit par « la tâche du traducteur ». Ainsi sommes-nous, existons-nous, dispersés et confus, et appelés à quoi ? Et bien à la traduction !
Paul Ricoeur en référence à Walter Benjamin compare la « tâche du traducteur » sous le double sens que Freud donne au mot « travail » : « travail du souvenir » et « travail du deuil ». Il écrit ainsi qu’en traduction « il est procédé à un certain sauvetage et à un certain consentement à la perte ». Ricoeur plutôt que d’opposer traduisible versus intraduisible une alternative paralysante préfère le couple « fidélité versus trahison ». Il convient de renoncer à l’idéal de la traduction parfaite. L’impossibilité de servir deux maîtres l’auteur et le lecteur.
Le paradoxe est qu’une bonne traduction ne peut viser qu’à une équivalence présumée, non fondée dans une identité de sens démontrable….Et la seule façon de critiquer une traduction – ce qu’on peut toujours faire -, c’est d’en proposer une autre présumée, prétendue, meilleure ou différente. D’où les re-traductions des grands textes, la Bible, Homère, Shakespeare, Dostoïevski.
Le désir de traduire existe au delà de la contrainte et de l’utilité, au nom de l’élargissement de l’horizon de leur propre langue, de la formation et de la découverte de leur propre langue C’est ce désir écrit-il, qui a animé les penseurs allemands depuis Goethe et Von Humboldt, en passant par les romantiques Novalis et les frères Schlegel, Schleiermacher, jusqu’à Hölderlin et enfin Walter Benjamin.
Autre thèse importante, le terme de « résistance » qu’il emprunte à la psychanalyse « pour dire ce refus sournois de l’épreuve de l’étranger de la part de la langue d’accueil ». En effet, en traduction, le traducteur est du côté du lecteur, la sacralisation de la langue maternelle, sa frilosité identitaire. « La prétention à l’auto suffisance, le refus de la médiation de l’étranger ont nourri en secret maints ethnocentrismes linguistiques et, plus gravement, maintes prétentions à l’hégémonie culturelle ». Il rappelle la place de la langue latine de l’Antiquité tardive, à la fin du Moyen-Age, le français à l’âge classique et l’anglo-américain de nos jours.
Ricoeur finalement soutient une thèse en trois points :
– L’intraduisible initial, qui est la pluralité des langues, la diversité, la différence des langues qui suggère l’idée d’une hétérogénéité radicale qui devrait à priori rendre la traduction impossible.
– L’intraduisible terminal, celui qui produit la traduction, il faut dire comment la traduction opère. Car la traduction existe.
– Reste alors un ultime intraduisible que nous découvrons à travers la construction du comparable, « Le sens ». Le sens écrit-il est arraché à son unité avec la chair des mots, cette chair qui s’appelle la « lettre », quitter le confort de l’équivalence de sens seul pour se risquer dans des régions dangereuses où il serait question de sonorité, de saveur, de rythme, d’espacement de silence entre les mots, de métrique et de rime.
L’immense majorité des traducteurs écrit Ricoeur résiste, et sans doute, sur le mode du sauve-qui-peut, sans reconnaître que traduire le sens seul, c’est renier une acquisition de la sémiotique contemporaine, l’unité du sens et du son, du signifié et du signifiant…
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