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Sortir du génocide

Lecture Osiris

Régine WAINTRATER est psychanalyste et thérapeute familiale. Dans cette étude elle aborde les mécanismes à l’œuvre chez les témoins et les témoignaires d’actes d’une extrême violence comme ceux subis par les victimes lors des génocides. Les analyses qu’elle livre apportent aux témoignaires que nous sommes, engagés dans le soin auprès de victimes de violences politiques, des éléments utiles pour comprendre les processus dans lesquels soignants et soignés sont impliqués. Le témoignage est un récit mais aussi un acte qui s’adresse à la communauté humaine à travers le témoignaire ( celui qui reçoit le témoignage) : « ce qui constitue le témoin c’est d’avoir été contraint à assister à des choses qu’il n’aurait pas dû voir (et à faire des choses dont il aura honte, mouvement affectif qui isole le sujet de ses semblables).
La rupture se constate chez l’enfant « d’après le génocide » qui perd la capacité de se séparer du psychisme familial et d’accéder à sa propre histoire. La recherche des traces se perd lorsque ce qui appartient en propre au groupe familial a été dévasté.
« Au Lager… chercher à comprendre… est un gaspillage d’énergie qu’il est plus utile d’investir dans la lutte quotidienne contre la fatigue et le froid. » Cette affirmation évoque pour d’autres circonstances la situation des déboutés de l’asile, certains des persécutions qui fondront sur eux s’ils sont renvoyés dans leur pays et contraints, au quotidien, de lutter pour trouver un hébergement et de la nourriture pour la famille.
La compréhension du traumatisme s’appuie sur la notion de débordement et de rupture : l’effraction du moi submerge le sujet et entraîne une désorganisation de la personnalité. En référence aux débats entre Freud et Ferenczi, l’auteur examine la théorie d’une réactivation d’un trauma initial ( comme dans la névrose hystérique), « l’adaptation énergétique » de l’organisme attaqué agit sur l’état de conscience qui est alors modifié, ainsi l’événement ne serait pas traumatique en soi mais le débordement du moi qui en résulte. Pour Ferenczi, l’intensité du trauma, sa réalité, sa nature ont un effet qui provoque un état irréversible et définitif. Les mécanismes de défense les plus actifs sont le clivage et la dissociation. La modification de l’économie psychique instaure une nouvelle réalité provoquée par la persécution, on assiste à un néo-développement. Il se développe alors chez le sujet une « zone grise » qui modifie les fonctions moïques et surmoïques pour des fonctions plus en rapport avec la nécessité de la survie. L’évocation des souvenirs, la mise en souvenir, est un acte individuel mais il concerne le collectif humain. La remémoration amène le moi traumatisé dans des zones qu’il réprouve, confronté à la « crainte de l’effondrement de l’édifice du moi» selon WINNICOTT. Ainsi, le trauma poursuit son travail de sape à l’intérieur du psychisme.
A la condition que le récit du témoin soit supporté par celui qui le recueille, il peut être réintégré comme un passé qui lui appartient et qui va alors fonctionner comme un « credo », un mythe. Ernst KRIS considère ici que l’autobiographie peut avoir l’importance d’un souvenir écran, formation de compromis. Régine WAINTRATER, en référence à KOHUT, BALINT, et WINNICOTT, dit que le sujet met son énergie à conserver sa capacité de penser et de lier, plutôt qu’à investir les pulsions sexuelles. La propension du témoin survivant à réprimer les affects est une séquelle du gel affectif salvateur qui lui a permis de ne pas devenir fou au moment des persécutions. La tentative de récit autobiographique que produit le recueil du témoignage s’apparente à une cure analytique si l’on considère qu’il s’agit d’un travail psychique qui permet de construire et déconstruire ce récit.
La lecture de ce livre fournit de nombreux éléments de réflexions pour notre pratique, Régine WAINTRATER propose de s’intéresser à la « communication testimoniale » qui se centre tout entière sur une tentative de partager une « même connaissance de l’objet », elle se démarque de la notion de transfert en recourant à celui de résonance, et précise que le témoignaire qui « doit rester au plus près de ce qu’il éprouve : ses émotions sont la seule boussole dont il dispose pour le guider dans les méandres d’un voyage qui requiert de lui une grande disponibilité psychique », ainsi il va prêter son psychisme au témoin pour lui permettre d’externaliser les contenus toxiques. Dans cette entreprise le collectif n’est jamais très loin, le témoignage est un processus de co-création sur fond de mandat du groupe. En racontant son histoire, le témoin prend le risque de la modifier, d’en découvrir de nouveaux aspects et ce faisant, il retisse les fils rompus, dans un véritable travail de transformation et d’appropriation.

Les ouvrages et documents peuvent être consultables sur place, notamment lors des formations. Pour toute demande d’informations sur cette référence, merci de nous contacter à ressources@centreosiris.org.