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L’inceste et l’incestuel

  • Auteur·e·s : Paul-Claude Racamier
  • Type document : Livre
  • Catégorie : Psychologie, psychiatrie
  • Thématique : Autre
  • Éditeur : Dunod
  • Année de publication : 2021
  • Nombre de pages : 192

Lecture Osiris

A la création de ce livre en 1995, l’auteur nous invite à découvrir une notion nouvelle dont il dit qu’elle est néanmoins vieille comme le monde : l’incestuel. Il le distingue de l’inceste, tout en précisant sa grande proximité. Il précise en début d’ouvrage : « L’incestuel est un climat où souffle le vent de l’inceste sans qu’il y ait inceste ». Il désigne des faits mais aussi ce qui est du registre du psychique et du relationnel.
Partie 1 Abord
La séduction narcissique
Pour Racamier, il faut aller chercher les origines de l’inceste et de l’incestuel dans les tous premiers âges de la vie, au moment de la séduction narcissique entre la mère et le bébé. Celle-ci succède à l’unité corporelle prénatale. Elle vise à l’unisson, à la toute-puissance, à la neutralisation des excitations internes et externes, et à la mise hors circuit de la rivalité oedipienne. La séduction narcissique culmine dans la fascination avant de décroitre. Car elle entre en concurrence avec les forces de croissance qui poussent à la différenciation, à l’autonomie, à la séparation, mais aussi avec les forces sexuelles.
Menée à bien, la séduction narcissique permet ce sentiment profond et informel de connivence avec le monde, d’isomorphie avec le réel. « Pour quoi qu’on qu’est habité par ce sentiment, le monde est familier. » Elle est donc essentielle à la naissance du moi.
En revanche, la situation se gâte lorsque la séduction narcissique ne veut pas finir. Une phrase pourrait résumer cette relation : « ensemble nous sommes le monde, et rien ni personne ne saurait nous plaire. Ensemble nous ignorons le deuil, la castration… et l’OEdipe ».
Et voilà l’incestuel ! Il est possible que la séduction narcissique se prolonge au-delà des limites où elle est nécessaire au moi et propice à son développement. Poussée au-delà, elle s’oppose au mouvement libidinal de la vie. Elle agit envers et contre l’œdipe. Elle est pulsion de mort.
Racamier rappelle que certaines mères tiennent à demeurer en communion quasi substantielle et autant que possible éternelle avec leur enfant. On assiste à des formes de séductions narcissiques interminables, détournées des buts naturels, dévoyées, dissymétriques et manipulatoires.
Que deviendra cet enfant pour cette mère perpétuellement avide de confirmation narcissique. Il sera son miroir ! Son complément, précise l’auteur. Un organe destiné à la compléter, à l’achever. Non pas seulement le phallus, mais sa garantie d’identité, le témoin, la preuve, le garant (indéfectible et insécable !) de son existence. La mère gagne en narcissisme. L’enfant perd en autonomie puisqu’il devient instrument. L’enfant est narcissiquement flatté, puisqu’il est indispensable. Pour que cette relation perdure, il faut que de part et d’autre, cette relation devienne et demeure, question de vie et de mort.
3 thèmes essentiels du crédo narcissique :
« Ensemble, nous nous suffisons et nous avons besoin de personne.
Ensemble et soudés nous triomphons de tout
Si tu me quittes, je me meure. » On demeure dans la toute-puissance de l’unité, dans la mort de la différenciation. Racamier précise qu’au fond de toute relation narcissique interminable pèse la présence de la mort. Au bout de cette relation se profile la promesse de l’inceste.
Paradoxalement, pour qu’une séduction narcissique ne finisse pas, il faut qu’elle échoue. Qu’elle soit toujours à regagner, à recommencer et toujours en échec. Une attente narcissique de la mère excessivement élevée sera inextinguible et l’emportera sur le narcissisme de l’enfant. A l’auteur de conclure : « Violence, telle est bien le fond de l’incestuel ! »

L’antoedipe
Pour Racamier, il existe une constellation conflictuelle autre que l’œdipe dans la psyché. Il s’agit de l’antoedipe. L’antoedipe est ce conflit des origines entre la tendance à l’unisson avec le monde qui correspond à la séduction narcissique, et la séparation et l’autonomie si essentielle à la croissance psychique.
Il organise le tabou de l’indifférenciation des êtres et instaure la nécessité du deuil originaire (perte de l’unisson mère enfant, de la dyade univers).
Il instaure la différence entre l’autre et soi et cette découverte est payée du prix d’une perte. Il met en place la différence des générations. Il a comme héritage l’idée du moi, mais aussi l’idée d’autrui. Il a une double fonction de limite et de sécurité. Abouti, son murmure correspond à cette idée : « je ne suis qu’un homme parmi les autres hommes mais j’en suis un ».
La vie de la psyché repose alors sur l’accord entre deux pôles que sont l’œdipe (la différence des sexes, la castration, le surmoi) et l’antoedipe (la différence des êtres, des générations, le deuil originaire). L’incestuel s’oppose à l’œdipe, et fait flamber l’antoedipe.
Partie 2 Les cercles
L’inceste
L’incestuel est violence. De celle qui taraude, qui ampute et divise, qui attaque en profondeur la qualité propre des êtres, dans leur corps et leur psyché, dans leur autonomie et leur identité, dans leurs besoins vitaux et leurs désirs. Pour Racamier, tout est question de sexe. Si l’inceste éclate l’entourage assourdira le vacarme. Si l’incestualité s’aménage, cette organisation sera sourde et inopérante mais d’autant plus tenace. Au demeurant, jamais individuelle, mais duelle et souvent familiale. L’auteur distingue trois cercles. Les deux premiers sont liés à l’inceste qui est l’épicentre traumatique. Le troisième cercle est l’incestuel. Les incestes sont des affaires narcissiques avant que d’être des affaires sexuelles. Tout inceste est emprise. Cette emprise est narcissique fondamentalement. L’abus sexuel suit une
séduction narcissique abusive. On parle d’abus narcissique.
Tout inceste est non seulement traumatique mais c’est aussi une disqualification. C’est-à-dire, une atteinte narcissique qui correspond à l’inverse de la reconnaissance. La disqualification se porte sur une vaste zone : capacité de désir, élaboration fantasmatique, intégrité du moi, des pensées…
Les victimes deviennent des éclopées psychiques. Ne peuvent plus se fier à leurs désirs, à leurs fantasmes, leur corps leur échappe et leur moi se perd.

L’incestuel
L’incestuel est un inceste moral. La relation d’objet incestuelle est une relation d’objet partielle. L’autre est un ustensile. Il sera selon l’expression de l’auteur « objet non objet », c’est à dire qu’il ne sera pas investi dans son intégrité. Pour commencer il sera adulé. Il commence idole. L’idole a pour fonction d’illuminer l’idolâtre en retour. Il incarne un idéal absolu. Qui résisterait à pareille adulation ? Et qui pour finir ne s’y perdrait pas ?
L’objet incestuel est captif d’une projection narcissique envahissante. Il a pour mission d’incarner à lui seul les objets internes qui manquent à l’auteur de l’idolâtrie narcissique. Il doit par délégation narcissique incarner ce monde intérieur absent ou dévasté. Le court-circuit narcissique remplace la trajectoire libidinale.
L’objet narcissique a une présence de fétiche. Il a une mission glorieuse à accomplir à condition de remplir deux missions :
-Ne pas connaître d’autres origines que son investisseur
-Doit rester inamovible, immuable, toujours disponible. Sa présence extérieure et concrète est là pour pallier les absences intérieures. L’objet fétiche est désobjectivisé. Il est fétiche sexuel. Il est interdit de désir propre et de valeur narcissique propre. Le lien libidinal est remplacé par la ligature, le désir par la contrainte.
La mégalomanie guette les idoles incestuelles. Pourtant enfermées dans un paradoxe majeur : « être rien en étant tout, être nulle part en étant partout ». C’est l’inverse du transitionnel. Car l’objet incestuel ne cesse d’être contre investi dans une présence obligée au lieu d’être investi dans son absence.
Ligaturer et disqualifier :
L’objet incestuel se doit d’être hautement manipulable. Il est au cœur d’une relation d’emprise. Il faut se conformer d’abord en pensée : « Si tu m’aimes, tu me crois ! Si tu ne me crois pas, tu me trahis, si tu me trahis, tu me détruis. » La pensée est assujettie. La mort et la destruction plane avec insistance sur la relation incestuelle. La présence de cet objet est aussi nécessaire que son existence est impersonnelle. Autant il est séduit, autant il est disqualifié.
Du côté de l’objet :
Dans un premier temps. Il est ébloui, fasciné par l’auréole dont il est nimbé. Ensuite, la gloire se fane, la guerre avec le monde extérieur (et leur père) s’éternise. La pression incestuelle ne se relâche pas. La peur s’installe : peur de perdre sa grandeur, de perdre l’amour… La conviction de ce couple est que chacun ne peut survivre sans l’autre. En se détachant de sa mère, l’objet incestuel ne va-t-il pas détruire sa mère ? Cette peur est d’autant plus vive que les mères incestuelles, avec leur vide intérieur, éprouvent une menace dépressive dont elles jouissent avec art et sans ménagement ! De la coalition, l’objet incestuel passe à la soumission.
Avec le temps, l’objet incestuel réalise qu’il a été utilisé, parasité, disqualifié. Le conflit devient intense, la culpabilité comme défense contre la haine s’installe. Un des enjeux de la thérapie sera de se dégager de l’emprise et de la haine. Dans l’abus narcissique, l’attente narcissique est insatiable. L’enfant ne pouvant satisfaire ne trouve pas son compte. Séduction interminable qui échoue et recommence jusqu’à ce qu’il y ait inceste comme ultime remède. Répétons-le, l’abus narcissique est à l’origine de tout abus sexuel.

L’incestuel : ses défenses, ses paradoxes
En régime incestuel, l’œdipe est inopérant. C’est le règne du clivage : séparer la part qui sait de celle qui ne sait pas.
L’incestuel s’active ainsi à l’encontre du conflictuel. Il est en lui-même paradoxal. L’incestualité œuvre contre toute intériorité et toute tendresse. Contre le contact de peau à peau, règne des proto fantasmes de transpercement et l’agglomération. La relation incestuelle est une relation de tendresse précaire. Au contraire, c’est une guerre, une passion.
Ainsi, à l’encontre de la carence de tendresse primaire, se forme une carapace. La place laissée vacante par cette absence dans la psyché est pressentie comme un gouffre profond. Le manque de tendresse est dénié, pour verrouiller le déni, la tendresse est prise en horreur. Pour rappeler le manque, l’inceste est mis en avant. Un paradoxe de plus : la mère distante veut l’enfant tout à elle, la mère rejetante le veut captif. Seulement, ce n’est pas ouvertement qu’elle est rejetante, c’est insidieusement. Que reste-il à cet enfant, si ce n’est pour comble du paradoxe, d’aspirer à posséder ce qui jadis ne lui a jamais appartenu.

Partie 3 Objets
Secrets
On distingue deux types de secrets :
L’un ouvert, divers et libidinal. Témoin de nos limites, garant de l’intimité psychique. (Pulsion de vie)
L’autre obscure et compact, hostile et anti libidinal. (Pulsion de mort) Le secret d’incestualité est du deuxième type. Il porte sur les origines, est au service de la séduction narcissique. On nomme ces secrets, les secrets obturateurs. Ce sont des blocs d’anti-pensée, ils rompent le fil de nos origines. Deux matières : la mort (deuil non fait) et la transgression (inceste). Dans les deux cas, le non-dit règne, les narcissismes familiaux jouent un rôle écrasant. Pour Racamier, dans toute relation incestuelle se cacherait un secret obturateur, un secret qui touche aux origines, aux sexes et (ou) à la mort.

Partie 4 Dérivés
Psychopathologie
L’incestualité est une folie ou une fabrique de la folie. Ce n’est pas une pathologie en soi. Elle touche à de nombreux domaines de la vie psychique : les êtres et les générations. Elle altère les perspectives du moi, la transmission des affects et des fantasmes, la dynamique du plaisir, le jeu des processus de la pensée, la pensée des origines. L’incestualité s’écarte des conditions essentielles de la vie psychique et du plaisir de vivre.
Conséquence sur la vie psychique :
– On peut dire que l’incestuel démantèle les liaisons, instaure le clivage, remplace les liens par les ligatures (ainsi tout se fétichise et tout être devient fétiche), il perturbe le système d’interdit, contre investi la tendresse et la sensualité.
– Il déconstruit les origines, instaure la confusion des générations
– Il déconstruit et altère le moi, le disqualifie, atteint l’auto érotisme qui est en perdition,
crée des brèches dans le psychisme entraînant de graves incertitudes de jugement, des distorsions de la vérité. Il faut souligner la dimension familiale de l’incestuel. Il doit être compris dans la dynamique du milieu familial.
Enfin, l’auteur rappelle que le terrain de prédilection de l’incestuel est la psychose. Quelle pente fait glisser certains sujet d’incestualité dans la psychose ? :
– La séduction narcissique rend l’enfant à l’état d’idole, elle lui donne pour mission inconsciente et irrésistible de préserver et magnifier le narcissisme de la mère. Elle fait pousser l’enfant vers des hauteurs de moins en moins porteuses et de plus en plus risquées.
– Le sujet incestualisé est enlisé dans une introuvable identité. Le risque de dépersonnalisation est important d’autant que sont actives les contraintes paradoxales (« être tout en étant pas »).
– Le moi est déperspectivé. Devant un conflit grave, une perte ou un deuil, il ne tiendra pas la route. Quant au délire, Racamier écrit : « Au fond de tout délire est un inceste. » L’auteur précise que tout n’est pas perdu. Les chances thérapeutiques existent, à travers notamment les forces de croissances et d’auto conservation qui peuvent tirer le patient vers le haut et l’extirper du contrat incestuel familial.
La thérapie
Racamier rappelle que beaucoup de sujet correspondent à ce qu’il appelle des organisations mitigées. Des terrains que se partagent l’incestuel et l’œdipe. Il peut y avoir investissement simultané d’une mère abusive mais distanciée et d’un père rejeté mais présent et préservé. Ce sont des organisations bilatérales. Dans ce cas, le sujet tient le coup sans déroute grave, en état de douloureuse division interne (clivage). Racamier précise : « Dans ce cas, ne pas baisser les bras, une cure analytique s’impose ».
La méthode consiste à :
– Replacer un cadre
– Démêler les amalgames.
L’auteur écrit : « Si un père et sa fille parviennent à se sentir de la même famille sans pour autant se prendre pour un couple, où chacun pour l’autre occupe tous les rôles possibles, alors deux séductions se disjoignent, une perspective renaît et des liens libidinaux revivent. »
Il s’agit aussi de
– Réinvestir des alentours et des plaisirs.
L’auteur précise qu’à la place de l’illusion de toute puissance, de toute jouissance et d’éternité, il faut trouver le deuil et la castration. Il faut requalifier le sujet, ré ensemencer les plaisirs Libidinaux et les plaisirs du moi qui sont anti incestueux.
Il est nécessaire de réinvestir « le territoire des rêves et des fantasmes, des découvertes quotidiennes et des créations rares, la foules des souvenirs d’enfance, des petits plaisirs, des péchés mignons, pain quotidien de la vie psychique, jardin de la psyché. » Tout ceci précise l’auteur sont des antidotes modestes qui s’opposent aux cultes incestuels. L’auteur parle de se régénérer, de se reconstruire narcissiquement. Revenir à des choix impossibles tel que « crois en moi ou crois en ton moi ».
L’auteur termine par ces conseils : « Il nous faut savoir ne pas attendre pour notre compte, mais au contraire mettre en valeur ce qui émane du sujet lui-même, si ordinaire que ça puisse paraître à lui qui se croyait condamné à l’extraordinaire et à l’exploit. Ainsi, nous offrons de se trouver accueilli et accepté lorsqu’il reste à son niveau, sur son propre territoire. Nous irons à l’encontre des abus narcissiques dont il a pâti, loin des séductions qui l’ont envahi. Nous lui prêterons une enveloppe qualifiante. »

Les ouvrages et documents peuvent être consultables sur place, notamment lors des formations. Pour toute demande d’informations sur cette référence, merci de nous contacter à ressources@centreosiris.org.