Les ombres
Lecture Osiris
Une salle d’interrogatoire à la lumière crue. Une chaise, un bureau. C’est dans ce décor
dépouillé que l’exilé n° 211 voit son destin se sceller. Au terme d’un long périple, tête
baissée, dos voûté, il demande l’asile. Poussé à l’aveu, il doit, pour obtenir le précieux
sésame, revenir sur son passé et sur les raisons qui l’ont contraint à l’errance.
A l’origine, les Ombres était une pièce de théâtre écrite par Vincent Zabus et jouée par la Compagnie des Bonimenteurs. A travers ce texte, Zabus abordait la question de l’exil et de l’émigration forcée pour les africains. Aux côtés du dessinateur Hippolyte, il a eu envie d’aller plus loin et de tout réécrire, en une version one-shot plus aboutie sur le fonds et… sublime dans la forme. Le résultat est cet épais chef d’œuvre de 175 planches, une tragédie humaine prenant une dimension allégorique. En effet, ici, aucun personnage n’a de nom, ni même de traits de visage. A la fois victime et coupable, le héros expatrié lui-même arbore une sorte de masque rituel, comme si la thématique était trop universelle pour pouvoir focaliser sur son identité propre. On comprend rapidement qu’il a été contraint de fuir sa terre d’origine pour échapper à une mort certaine. On nous dit vaguement qu’il s’agit d’une sordide histoire de ressources minières et de mercenaires jouant de la machette… Mais peu importe la cause spécifique, seule compte la problématique finale : l’exil. Et l’exil désespéré, sans espoir d’un meilleur possible. L’exil jonché d’obstacles fatals. Car le héros a certes des compagnons de route – peu chaleureux – qui se transforment en ombres accompagnatrices, à mesure qu’ils tombent au champ d’honneur. Depuis ce point de vue aux contours flous et largement teinté d’onirisme, la condition humaine est kafkaïenne. Les êtres subissent, se laissent rebondir par les coups du sort en tentant d’y survivre, jusqu’au prochain, sans jamais avoir le choix.
Certes, Zabus dénonce sans donner de solution… et c’est la seule limite de l’ouvrage, à tous points de vue remarquable sur le reste. Car de son talent consommé pour le 9ème art, Hippolyte transcende véritablement le propos, de par ses astuces séquentielles, son rythme de narration lent, ses ambiances, sa lumière ou ses partis-pris allégoriques (l’ogre civilisé, le labyrinthe administratif, le chant des sirènes, le passeur à forme de serpent…). Sans aucun doute, voilà l’un des tout meilleurs romans graphiques de l’année 2013.
Benoit Cassel http :www.planetebd.combdphebusles-ombres-21742.html
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