L’Empire du traumatisme : enquête sur la condition de victime
Lecture Osiris
Didier Fassin, anthropologue, sociologue et médecin et Richard Rechtman psychiatre et anthropologue ont enquêté sur l’évolution du concept de traumatisme, son usage et son expansion depuis le 19ème siècle. La phrase de Walter Benjamin, « Faire œuvre d’historien ne signifie pas savoir comment les choses se sont réellement passées. Cela signifie s’emparer d’un souvenir, tel qu’il surgit à l’instant du danger1. », est le soubassement d’une réflexion et d’une recherche « qui préfère
à la patiente reconstitution du passé l’empreinte laissée dans la mémoire ».
Pour les auteurs le traumatisme – « le surgissement du souvenir à l’instant du danger. » – s’affilie d’une double généalogie celle d’une histoire scientifique qui souvent laisse le pas à une histoire sociale.
Le développement de la névrose traumatique s’inscrit dans des pratiques de soin en même temps qu’elle rend compte des valeurs d’une société, de la place qu’elle accorde aux ouvriers, aux soldats, aux rescapés, aux témoins… et ce des observations des médecins londoniens qui, entre 1866 et 1870 avaient évoqués les conséquences sur le système nerveux des fortes commotions liées aux accidents de chemin de fer, jusqu’aux plus récentes réflexions sur la condition de victime et l’invention du PTSD (Post-Traumatic Stress Disorder).
« Une généalogie morale qui procède du travail collectif par lequel la société définit ses valeurs, ses normes et les incarne dans des subjectivités particulières. Elle met en œuvre des logiques qui se cristallisent autour de la névrose traumatique pour légitimer ou au contraire exclure, pour indemniser ou à l’inverse condamner celles et ceux que, pendant longtemps, on ne considérera ni ne nommera des comme victimes. Cette histoire « des mentalités » est aussi et surtout celle des hiérarchies et des inégalités qui, plus cruellement que dans bien d’autres domaines de la vie humaine, différencient et classent les hommes et les femmes ayant subis des évènements douloureux, et dont on reconnaîtra les souffrances, en fonction de leur statut ou de leur utilité sociale. » p.51
Dans les années soixante, à partir des revendications des vétérans de la guerre du Viet Nam apparaît un nouvel auteur, la victime. Les combattants exigeront un droit de réparation faisant pression sur les médecins psychiatres américains qui définiront le PTSD via les catégories de la nosographie DSMIII. Ainsi le traumatisme acquiert ses critères de scientificité. Il devient une maladie mentale dégagée de toute morale en ce sens que seul l’événement est responsable de la pathologie : « Des hommes ordinaires placés dans des conditions extraordinaires ». En conséquence, le diagnostic une fois établit déculpabilise la victime. La maladie séparée de tout jugement moral, la voie est ouverte pour que les victimes comme les bourreaux, demandent réparation au nom du préjudice subi.
Les mouvements intrapsychiques et la conjonction entre une personnalité fragile et une événement qu’elle n’aurait pas réussi à surmonter ne livrent plus la clef du traumatisme : il s’agit désormais d’un événement hors du commun venu ébranler les capacités normales de résistance du psychisme. p.134
Le livre redouble d’intérêt quant à travers trois situations, les auteurs évaluent l’équation traumatismevictime et montrent comment le statut de victime peut-être remanié qu’il soit revendiqué ou contesté selon les circonstances :
‐ la victimologie psychiatrique, dans les suites de l’explosion de l’usine AZF, à Toulouse
‐ la psychiatrie humanitaire, présente dans les territoires palestiniens durant la seconde Intifada
‐ la psychotraumatologie de l’exil, au sein des associations œuvrant auprès des demandeurs d’asile.
Un ouvrage incontournable pour tous ceux qui récusent l’intangibilité d’un concept – le traumatisme – qui n’a de cesse d’évoluer en prenant une place de plus en plus importante dans le débat public.
Les ouvrages et documents peuvent être consultables sur place, notamment lors des formations. Pour toute demande d’informations sur cette référence, merci de nous contacter à ressources@centreosiris.org.