ما کی هستیم ؟Kush jemi ne ?من نحن ؟Who are we ?Кто мы ?مونږ څوګ یو ؟ - Ვინ ვართ ჩვენ ? - Хто ми ? - Biz Kimiz ?

L’Écriture ou la vie

  • Auteur·e·s : Jorge Semprun
  • Type document : Livre
  • Catégorie : Témoignage
  • Thématique : Shoah
  • Éditeur : Folio
  • Année de publication : 1996
  • Nombre de pages : 395

Lecture Osiris

Comment écrire l’impensable ? Comment se détacher de l’angoisse mais pas trop … être vivant tout en écrivant sur ce qui a menacé notre identité, ébranlé notre savoir supposé du
monde des humains ? A Ascona 1945 « J’avais pris la décision d’abandonner le livre que j’essayais en vain d’écrire. …/… J’ai choisi l’oubli, j’ai mis en place, sans trop de complaisance pour ma propre identité, fondée essentiellement sur l’horreur – et sans doute le courage – de l’expérience du camp, tout les stratagèmes, la stratégie de l’amnésie volontaire, cruellement, systématique. Je suis devenu un autre, pour pouvoir rester moi-même. »
En 1961, 16 ans après la libération des camps, Jorge Semprun publie son premier livre le grand voyage, récit du voyage qui le conduira à Buchenwald : « Revenu volontairement dans l’anonymat collectif d’un après-guerre chatoyant, ouvert à toutes sortes de possibilités d’avenir, j’ai vécu plus de 15 ans l’espace historique d’une génération, dans la béatitude obnubilée de l’oubli. Avec la parution du Grand voyage, tout est devenu différent. L’angoisse d’autrefois est revenue m’habiter, particulièrement au mois d’avril. Y concourent une série de circonstances qui le rendent difficile à parcourir indemne : le renouveau troublant de la nature, l’anniversaire de la libération de Buchenwald, la commémoration de la Journée de la déportation. »
Un samedi d’avril 1987 en écrivant les pages de son prochain livre Netchaïev est de retour, Jorge Semprun dans son brouillon du livre en cours écrit quelques lignes dans lesquelles il devait être question de Buchenwald : « Trois ou quatre pages devaient suffire, m’avait-il semblé, pour évoquer le voyage de Roger Marroux à travers l’Allemagne défaite, en avril 1945 à la recherche de Michel Laurençon, son camarade de résistance déporté.
Ça s’écrivait ainsi pour commencer : « Le matin du 12 avril 1945 Marroux descendait de voiture devant les bureaux de la politische Abteilung, la section de la Gestapo du camp de Buchenwald. La porte d’entrée monumentale, avec sa grille de fer forgé, se trouvait à quelques dizaines de mètres, au bout de la longue avenue bordée de colonnes surmontées d’aigles hitlériens qui relient la gare de Buchenwald au camp proprement dit ».
Une sombre allégresse me souleva. Une nouvelle fois, sans l’avoir prémédité du moins apparemment, j’étais fidèle au rendez-vous du mois d’avril. Ou plutôt, une part de moi, âpre et profonde, était fidèle, contre moi même, au rendez vous de la mémoire et de la mort. J’avais mis de côté les pages écrites ce jour-là. Un autre livre venait de naître, je le savais. De commencer à naître du moins. D’habitude mes livres tardent à trouver un titre satisfaisant. Celui-ci l’eut d’emblée. Je l’écrivis au feutre gras : l’Écriture ou la mort (une quinzaine de feuillets écrits ce samedi 11 avril 1987). Ce jour-là ce samedi, Primo Levi choisissait de mourir en se jetant dans la cage d’escalier de sa maison de Turin.
A la fin de La Trêve Primo Levi écrit :  » rien n’était vrai en dehors du camp, tout simplement. Le reste n’aura été que brève vacance, illusion des sens, songe incertain : voilà.» Une ultime fois, sans recours ni remède l’angoisse s’était imposée, tout simplement. Sans esquive ni espoir possibles ». » « Un jour viendrait relativement proche, où il ne resterait plus aucun survivant de Buchenwald : plus personne ne saurait dire avec des mots venus de la mémoire charnelle, et non pas d’une reconstitution théorique, ce qu’auront été la faim, le sommeil, l’angoisse, la présence aveuglante du mal absolu – dans la mesure où il est niché en chacun de nous, comme liberté possible. Plus personne n’aurait dans son âme et son cerveau indélébile, l’odeur de chair brûlée des fours crématoires. »

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