Le peintre de batailles
Lecture Osiris
Faulques, un ancien photographe de guerre, vit retiré du monde dans sa maison. Il compose une fresque circulaire et tente de restituer ce que ni son œil ni son appareil n’ont jamais pu saisir : le paysage intemporel d’une bataille. Au bout de ses pinceaux l’accompagne l’ombre d’une femme morte dix ans auparavant.
Surgit alors Igor Markovic un Croate qui a survécu à la guerre en Bosnie et dont la photo prise par Faulques a fait le tour du monde. Markovic est venu exiger le paiement d’une dette mortelle…
Ce roman d’un ancien grand reporter aborde de nombreuses questions sur la responsabilité du journaliste correspondant de guerre, sur la médiatisation des images de guerre. Comment concilier une exigence professionnelle, celle du reporter photographe envoyé en mission avec les effets sur soi-même des pires exactions de l’humain dont on est le témoin privilégié ?
Un autre intérêt de ce livre est qu’il interroge le statut de la représentation et de la sublimation dans l’art à partir d’expériences extrêmes (violences). Comment représenter l’irreprésentable ? Que reste-t-il à représenter ? Et finalement pourquoi ?
Markovic s’approcha un peu plus de la peinture, en se penchant pour observer les détails, cigarette dans une main et tasse de thé dans l’autre. Il me semble, dit-il que Picasso, lui aussi, a peint un tableau de guerre. Ça s’appelle Guernica. Bien qu’en réalité on ne dirait pas un tableau de guerre. En tout cas pas comme celui-ci. N’est-ce pas ?
– Picasso n’a pas vu une guerre de sa vie.
Le Croate regarda le peintre de batailles et acquiesça gravement. Il pouvait comprendre cela. Avec une intuition qui surprit Faulques, il se tourna vers les hommes pendus aux arbres, dans la partie dessinée au fusain sur le blanc du mur.
– Et cet autre compatriote à vous, Goya ?
– Lui, si. Il l’a vue, et il l’a subie.
Markovic acquiesça de nouveau en étudiant les esquisses avec attention. Il s’arrête très longuement sur l’enfant mort près de la colonne de fugitifs.
– Je crois que Goya a fait de bons dessins sur la guerre.
– Il a dessiné les meilleures eaux-fortes que l’on a jamais faites.
Personne n’a vu la guerre comme lui, ni n’a approché d’aussi près la méchanceté humaine … Quand finalement, il a perdu tout respect pour les hommes et pour les normes académiques, il est allé plus loin que n’ira jamais la photographie la plus crue.
– Pourquoi cette peinture géante, alors ? – Markovic continuait de contempler l’enfant mort. – Pourquoi peindre ce qu’un autre a déjà fait mieux que vous ?
– Chacun doit peindre sa part. ce qu’il a vu. Ce qu’il voit.
(pp 201-202)
Faulques conçoit une œuvre qui ne peut rendre compte de toutes les batailles, une œuvre par définition interminable. Le processus n’est pas la finalité, on pense au texte de Balzac Le chef d’œuvre inconnu :
Frenhofer, maître en peinture, maîtrise parfaitement la technique, mais il ne peut terminer le futur chef d’œuvre sur lequel il travaille depuis dix ans. Lorsque le jeune Nicolas Poussin lui offre alors de faire poser pour lui la femme qu’il aime il pense réaliser son chef d’œuvre. Son tableau terminé, le jeune Nicolas Poussin et le peintre Porbus sont conviés à l’admirer mais ils n’aperçoivent sur la toile qu’une petite partie d’un pied magnifique perdu dans une débauche de couleurs. La déception qui se lit sur leurs visages pousse le maître au désespoir. Frenhofer détruit son tableau et meurt…
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