ما کی هستیم ؟Kush jemi ne ?من نحن ؟Who are we ?Кто мы ?مونږ څوګ یو ؟ - Ვინ ვართ ჩვენ ? - Хто ми ? - Biz Kimiz ?

Englebert des collines

Lecture Osiris

Dans « Englebert des collines », c’est le portrait d’un rescapé, Englebert Munyambonwa survivant, rencontré au lendemain du génocide et qu’il connaît et suit depuis 15 ans.
Contrairement aux autres livres retracent chacun la rencontre d’une quinzaine de personnes, ici, c’est le portrait d’un homme qui, très brillant à l’école a obtenu une bourse, a travaillé comme fonctionnaire, puis ayant réussi un concours, a pu suivre durant 3 ans une formation à l’institut panafricain de développement au Cameroun, à Douala. En 1973, il est hébergé durant 6 mois par le directeur (devenu par la suite ministre et directeur à l’UNESCO) car les massacres avaient repris. À son retour, il devient inspecteur des coopératives pour le territoire rwandais et réside à Kigali. Grand lecteur, il parle plusieurs langues et il fréquente les centres culturels français et américains. Après 4 années, il est mis d’office en disponibilité « à durée inconnue ». Il pense que c’est en raison de son origine ethnique. Il rentre et achète une parcelle à Nyiramatuntu. Pendant un an, il bivouaque et défriche avec son père, élève quelques vaches, construit une maison familiale. Jean Hatzfeld décrit en préambule cette parcelle qui domine dans un paysage magnifique.
Des émissaires du ministère de l’économie viennent lui proposer à nouveau du travail, mais très vite, il est à nouveau renvoyé : « le ministre… comptait parmi ses condisciples qui m’avaient poursuivi de leurs machettes à l’institut Ruhengeri… m’a envoyé une lettre de renvoi. Aucune raison, ça a été la surprise… j’ai été très déçu mais je ne pouvais pas protester… j’ai vidé le tiroir, j’ai acheté le ticket de bus. Mon père m’a tendu la houe sur la parcelle familiale ».
En 1990, ses frères sont condamnés à mort accusés d’aider le front patriotique du Rwanda. L’un s’enfuit et trouve refuge au Canada.
Comme tous les autres qui vivaient sur cette colline, il vit ce mois de tueries : « c’est un fait qu’à Nyamata, les tueries ont duré du 11 avril à 11 heures jusqu’au 14 mai à 14 heures, elles se sont répétées tous les jours, même le dimanche, de 8 h à 15h sans un jour de répit ». Englebert comme ses voisins se cache dans la vase jusqu’aux épaules et se dissimule sous les papyrus. Il en est ainsi tous les jours, cachés le jour, remontant sur la terre ferme la nuit, mangeant ce qu’ils trouvent. Il parle de l’entraide, de la mort permanente et imminente, des blessés laissés pour mort, des enfants cachés qu’il fallait empêcher de pleurer. Sans pouvoir se laver de la boue, il parle de la vermine, des poux, des diarrhées, du découragement, de l’odeur « on sentait si mauvais qu’on préférait ne pas se remémorer ceux qu’on avait été… on énumérait les morts de la journée… personne pour prononcer un petit éloge de consolation… toutefois, on rencontrait un collègue chaque soir pour s’épauler. C’est comme ça que j’ai duré ».
Lors de l’arrivée des Inkotani qui les ont libérés, ils n’y croyaient pas : « au fond, on ne pouvait plus imaginer que des gens veuillent nous sauver ».
Toute sa famille a été exterminée, alors, depuis, Englebert se lève chaque matin à 5h30 et il marche toute la journée et il boit dès que l’occasion se présente. Il a bien tenté à plusieurs reprises de travailler, mais la pensée de prendre la place d’un autre l’en empêche : « est-ce que je vais prendre le bureau de ceux qui ont été coupés à la machette ? Ça me tourmentait… un jour, j’ai quitté, j’ai marché jusqu’à la parcelle ».
La nature ayant envahi les champs, la maison pillée et en partie détruite, il ne reste pas et poursuit ses marches. Il trouve refuge chez Marie-Louise qui a perdu sa famille et a créé un lieu où elle recueille et élève des enfants orphelins. Il vit là au milieu des enfants. Il aime parler, boire et marcher et parcourt les rues, la campagne, se faisant offrir « primus et bière de banane ». Il se décrit comme gai et se rappelle que dans son enfance, il était le boute en train de l’école, souvent puni mais malgré cela toujours premier de la classe. Il aime « jongler avec de bons mots », mais il n’oublie rien. « Autrefois je racontais des blagues du matin au soir. Mais le temps passe, des choses se sont passées qui m’ont prélevé de la gaîté ». Il se dit capable d’enseigner aux enfants, mais il « ne peut pas rester à la même place tout simplement. Ça me pèse. Je préfère marcher. Est-ce du vagabondage ?…si je ne bouge pas, je me répète, je risque de ne plus me comprendre… à 66 ans, ça m’aide à penser ».
Il a assisté à des Gacaca, « la vengeance, je l’aurais appelée tandis que je sortais des marais, mais ça ne me dit plus rien… le génocide m’a fait solitaire intérieurement, voilà pourquoi j’évite les complications… j’aimais la lecture… je ne lis plus, je ne suis plus avec le monde comme avant… j’ai été un peu changé par les tueries, ça je ne dis pas non… en tant que rescapé je n’aime pas qu’on me rappelle celui que j’ai été ». « Ainsi, depuis mai 1994, grand buveur et marcheur, Englebert, jamais ni malade ni sobre, poursuit sa route avec une irréductible assiduité ».

Les ouvrages et documents peuvent être consultables sur place, notamment lors des formations. Pour toute demande d’informations sur cette référence, merci de nous contacter à ressources@centreosiris.org.