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Des soldats tortionnaires

  • Auteur·e·s : Claude Juin
  • Type document : Livre
  • Catégorie : Témoignage
  • Thématique : Torture - violence
  • Éditeur : Robert Laffont
  • Année de publication : 2012
  • Nombre de pages : 372

Lecture Osiris

Durant les premières années de la guerre les jeunes recrues, près de deux millions avaient le sens du devoir, c’étaient des « jeunes gens ordinaires » dans un pays qu’ils ne connaissaient pas. Ils avaient une mission de « pacification » notion très ambiguë en particulier à partir de 1957 quand les combats se sont amplifiés et les violences se sont généralisées dans toute l’Algérie.
Nés pour la plupart entre 1935 et 1940 ils furent profondément marqués par la Seconde Guerre mondiale. La brève période de dix ans qui s’écoula entre la fin de la guerre de 1945 et le début de l’engagement militaire intensif (1955) fut pour les futurs appelés en Algérie celle de la sortie de l’enfance à l’adolescence. Ils subirent leur rôle de soldats mais ils l’acceptèrent par devoir, par conformisme et obéissance.
Dans les années 5556 de rares quotidiens et hebdomadaires reçurent les premières lettres qui dénonçaient çà et là des exactions et des tortures pratiquées par l’armée française. Ce n’est qu’à partir de 57 que les dénonciations de la pratique de la torture sur des prisonniers arrêtés arbitrairement, contre la population, femmes et enfants compris, touchèrent quelques courants d’opinion sensibles aux respects des Droits de l’Homme.
La plupart des témoignages émanaient de jeunes soldats. Au demeurant peu nombreux en regard du nombre des appelés. Beaucoup ont été témoins, seuls quelques-uns ont écrit et parlé. Certains ont été associés à la torture, sur ordre ou volontairement, d’autres ou les mêmes ont fait mourir sous la torture, d’autres encore ont froidement exécutés des suspects.
A présent le temps a libéré la parole… Beaucoup d’anciens soldats éprouvent le besoin de parler ou d’écrire. Aujourd’hui l’opinion reconnaît globalement que l’armée française a pratiqué la torture. Des soldats du contingent ont torturé, ils étaient des gens ordinaires. En Algérie, les jeunes soldats dans une position de soumission face à l’autorité militaire acceptaient la violence. De plus et c’est un autre point important ils étaient porteurs d’une culture selon laquelle la population à laquelle appartenait le « terroriste » était d’une race différente à la leur, porteuse d’humanisme. C’est cela le racisme. Claude Juin cite Michel Wieviorka : « Le racisme est toujours une, violence, dans la mesure ou il constitue une négation de celui qui en est victime, une altération de la part de l’humanité dont il est porteur ».
Le racisme qui a souvent comme origine les préjugés culturels se manifeste par le mépris, qui alors déclenche la violence. La population algérienne était victime, pour le moins, de brutalités « courantes » et de « petits » vols.
Un certain nombre d’appelés ont refusé l’intolérable. Ils furent fréquemment punis. A l’inverse, l’impunité sécurisait ceux qui se soumettaient. A leur retour cinquante ans après la guerre, la plupart d’entre eux sont restés silencieux. Certains en paient le prix de la honte, victimes de traumatismes psychiques. Claude Juin pose alors la question : « le déni de la torture et des exactions pendant la guerre d’Algérie n’est-il pas le déni de l’oppression et de l’exploitation de la colonisation ? La guerre d’Algérie n’est qu’une page supplémentaire de la longue dissimulation de l’histoire de la France coloniale ».
En 2014, si les témoignages d’anciens soldats se multiplient, l’État reste encore très discret sur ces tortionnaires dans les geôles de l’armée, de la gendarmerie et de la police françaises. « Les peuples, écrit Freud, cité par Claude Juin, sont à peu de chose près représentés par les États qu’ils ont forgés, et les États par les gouvernements qui les dirigent.
L’individu ressortissant d’un peuple peut, dans cette guerre, constater avec effroi ce qui, en temps de paix, cherchait parfois à s’imposer à lui : l’État lui a interdit d’enfreindre le droit non parce qu’il veut abolir l’injustice, mais parce qu’il entend monopoliser cette infraction, tout comme il a exercé son monopole sur le sel et le tabac ».
Claude Juin est né en 1935. Appelé du contingent en Algérie en 1957-1958, il raconta sa guerre dans Le Gâchis, publié en 1960 sous le pseudonyme de Jacques Tissier, et bientôt interdit. Ancien DRH et maire de Bessines, Claude Juin est docteur en sociologie depuis la soutenance de sa thèse « Guerre d’Algérie : la mémoire enfouie des soldats du contingent » (EHESS, 2011), matrice de Des soldats tortionnaires.

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