Maud Landreau, infirmière à la PASS de l’hôpital de la Conception de l’AP-HM de Marseille
Maud Landreau, infirmière travaillant à la PASS Conception de Marseille, a participé à l’étude PREMENTADA sur la santé des demandeurs d’asile primo-arrivants. Les résultats de l’étude mettent en lumière les importants besoins en santé, liés notamment aux traumatismes psychiques, et souligne les obstacles administratifs et sociaux entravant l’accès aux soins pour cette population vulnérable.
Bonjour Maud, est-ce que tu peux te présenter ?
Je suis infirmière à la PASS (Permanence d’Accès aux Soins de Santé) de l’hôpital de la Conception de l’AP-HM à Marseille.
Depuis que je suis à Marseille, j’ai travaillé pour une structure qui accompagne les sortants de prison dans les Bouches-du-Rhône, puis je me suis investie auprès des personnes vivant à la rue ou en squat dans le cadre de la recherche « Covid-Homeless ». J’ai de l’expérience auprès des usagers de drogues, des personnes précaires notamment.
Avant de nous en dire plus sur l’étude PREMENTADA, est-ce que tu peux nous rappeler le fonctionnement actuel de la PASS Conception et de la PASS mobile ?
A la PASS Adulte (Conception) il y a actuellement trois demi-journées de permanences sans rendez-vous : les mardis, jeudi et vendredi matin, entre 9h et 12h. Sur chaque demi-journée sont reçus à peu près 5 patients. Ainsi malheureusement, au vu du peu de places, les premiers patients arrivent en général vers 7h30 et attendent l’ouverture pour être reçus en consultation.
Les lundis et mercredis matin sont réservés aux rendez-vous partenaires. Les après-midis sont réservés aux suivis de patients, en sachant qu’aujourd’hui le premier rendez-vous de suivi est un mois et demi plus tard, sauf urgence.
La PASS mobile est composée d’un·e médecin, d’un·e assistant social et d’un·e infirmièr·e. Ils reçoivent des personnes en demande d’asile dans un camion, installé notamment tous les lundis et mercredis devant les locaux de la PADA (Plateforme d’Accueil pour les Demandeurs d’Asile) à Bougainville et assurent d’autres permanences avec des partenaires dans Marseille, sur des lieux choisis en fonction des besoins (Gare Saint-Charles, locaux associatifs).
Est-ce que tu peux nous en dire plus sur le projet de recherche PREMENTADA et ton implication ?
L’été dernier, j’ai été embauchée pendant 6 mois comme enquêtrice dans le cadre de la recherche PREMENTADA sur l’état de santé physique et psychique des demandeurs d’asile primo-arrivants, c’est-à-dire qui viennent juste d’arriver sur le territoire français (moins d’un mois de présence et avant les premiers RDV à la préfecture).
Cette étude avait pour objectif d’avoir un aperçu global de l’état de santé des personnes qui viennent d’arriver après leur parcours migratoire depuis leur pays d’origine. Pour cela, on a pu mener l’enquête dans les murs de la PADA, qui est le passage obligé pour toutes les personnes déposant une demande d’asile dans les Alpes-de-Haute-Provence, les Bouches-du-Rhône, les Hautes-Alpes et le Vaucluse.
Nous faisions les entretiens dans un bureau fermé, pour préserver la confidentialité. L’enquête a duré six mois pendant lesquels nous avons été présentes du lundi au vendredi à la PADA. Nous avons vu en moyenne 4 personnes par jour. Uniquement des adultes.
Nous avons mené, dans la mesure du possible, des entretiens individuels (certaines personnes très anxieuses préféraient rester toujours proches de leur conjoint·e·s).
Concrètement, comment avez-vous procéder pour mener cette étude auprès des personnes ?
Nous étions deux : moi en tant qu’infirmière et une collègue, pharmacienne de formation désormais médiatrice en santé.
Chaque personne reçue devait répondre à deux questionnaires : l’un concernant l’état de santé physique et l’autre l’état de santé psychique. Ce dernier appelé RHS-15 permettait de relever des symptômes de dépression, d’anxiété ou lié à un syndrome de stress post-traumatique (SSPT – PTSD pour Post-Traumatic Stress Disorder).
L’entretien comprenait aussi un prélèvement sanguin, qui permettait de dépister les hépatites B et C, le VIH, le diabète, l’anémie etc. Bilan que l’on retrouve pour le premier rendez-vous à la PASS. Chaque consultation était menée avec des interprètes professionnels. Nous avions recours aux services d’ISM-Interprétariat, une plateforme téléphonique.
Comment les personnes avaient connaissance de votre étude, et comment vous étaient-elles orientées ?
Il arrivait parfois que les personnes soient orientées par un agent de la PADA, qui leur proposait de participer à l’étude. Sinon, ma collègue et moi circulions tous les jours dans la salle d’attente ou dans le hall, pour proposer aux gens de participer. Nous présentions une fiche d’explication de l’enquête traduite dans les principales langues parlées ou utilisions Google trad. si besoin.
Nous les prévenions que l’entretien était assez long (environ 45 minutes), confidentiel, non obligatoire et sans aucun lien avec la demande d’asile. De nombreuses personnes ont refusé de participer, par manque de confiance ou fatigue et je pense que les plus motivées étaient des personnes inquiètes par rapport à leur état de santé.
Quel a été le panel des personnes enquêtées ?
Nous avons reçu un peu plus de 400 personnes entre mars à août 2021. La population la plus représentée était originaire d’Afrique de l’Ouest (Nigéria en particulier), Maghreb, Géorgie et Albanie.
Comment se passaient les entretiens ?
Nous avons reçu chaque personne en binôme avec ma collègue.
Nous expliquions dans un premier temps le cadre d’intervention, la confidentialité. Nous soulignions bien sûr que nous n’avions rien à voir avec la procédure de demande d’asile, que nous n’étions pas rattachées à la PADA mais à l’hôpital et que nous ne traitions que du médical pur, sous secret médical.
Nous remplissions deux questionnaires présentés à l’oral, et faisions la prise de sang. Il arrivait souvent que les personnes nous racontent leur histoire, leur parcours pour arriver jusqu’en France, que l’entretien se déroule comme une discussion.
Concernant les analyses sanguines, nous disions aux personnes qu’elles ne seraient rappelées qu’en cas de problème détecté (mais pouvaient demander leurs résultats).
Quels résultats a démontré l’étude ?
Sur le plan psychique, les résultats sont assez en phase avec notre ressenti : nous avons vu énormément de personnes sous le choc avec des symptômes qui peuvent se rattacher à un PTSD. Ainsi, 9 personnes sur 10 ont présenté des symptômes liés soit à un PTSD soit à une angoisse soit à une dépression. C’est énorme.
Sur le plan somatique, la forte prévalence d’hépatite B est à relever : 10 fois plus élevée que chez la population locale.
Pourtant, assez peu de personnes ont déclaré de prime abord avoir des soucis de santé physique ou psychique. Lorsque nous posions la question, les gens nous répondaient « On va bien ».
Globalement, l’étude démontre d’énormes besoins en santé.
La publication met en lien ces besoins avec les éventuels obstacles administratifs ou sociaux qui vont venir empêcher l’accès aux soins. C’est ça qui est important dans les résultats.
Qu’avez-vous constaté qui empêche justement l’accès aux soins ?
Sur le plan administratif, de nombreuses personnes reçues se trouvaient sous statut Dublin, ou en procédure accélérée, avec des récépissés courts n’offrant pas d’ouverture de droits et pouvant très rapidement déboucher sur des situations irrégulières voire des obligations de quitter le territoire français (OQTF). De plus il y a les délais de carence qui créent un gap de 3 mois sans remboursement des frais de santé. C’est principalement cette population qu’on retrouve à la PASS d’ailleurs.
L’étude a aussi souligné une corrélation très importante entre les besoins en santé et les problématiques de vie à la rue. D’ailleurs on s’est retrouvées, dans le cadre de l’enquête, à passer énormément d’appels au 115.
Il faut savoir qu’une femme seule, enceinte de moins de 8 mois, n’est pas prioritaire pour un hébergement d’urgence via le 115. Un parent avec des enfants de plus trois ans, c’est pareil. Du coup il y a plus de femmes avec enfants à la rue et d’hommes isolés qu’on ne le croit, notamment sur leurs premières semaines d’arrivée en France, ce qui les fragilise énormément.
A titre personnel, je pense que l’ordre de priorité pour les mises à l’abri nie pas mal de problématiques, mais il y en a une qu’on retrouve beaucoup dans le médico-social : les hommes seuls sont les derniers logés malgré leurs soucis psychiques et physiques et il est extrêmement difficile de les héberger même en cas de besoin médical.
Pour les personnes qui arrivent, la priorité est de trouver un endroit « safe » où dormir, avant de penser à se soigner. C’était dramatique de constater le nombre de personnes qui fondaient en larmes en nous répétant que tout ce qu’ils souhaitaient c’était se reposer dans un endroit à l’abri des vols, des intimidations et au chaud sans avoir aucune possibilité de les aider.
Nous avons constaté chez ces personnes à la rue, en squat, une augmentation des troubles psychiques : ils ou elles arrivent sous le choc et sont maintenu·e·s dans leur état, avec un énorme risque de décompensation.
De mon point de vue, l’offre de prise en charge à Marseille est ridicule au vu des besoins.
En moyenne, nous attendions 2 heures au téléphone pour une réponse du 115, réponse qui était presque tout le temps négative.
Est-ce qu’un entretien t’a marqué en particulier ? Une situation ?
Il y en a eu beaucoup… et à la fois je sais que j’ai un peu fait abstraction des histoires au bout d’un moment. C’était aussi pour moi une question de me préserver.
Globalement, les gens n’ont pas toujours déroulé tout ce qu’ils avaient vécu. Mais parfois des regards sont très significatifs. Notamment les gens passés par la Libye, passés par l’esclavage, les hommes aux travaux forcés, les femmes à l’exploitation sexuelle.
Ce qui m’a marqué c’est toutes ces personnes qui arrivent épuisées, qui parfois n’ont pas mangé depuis deux ou trois jours, parfois avec des enfants, et qui t’expliquent le passage en mer Méditerranée, avoir été sauvés sur les côtés italiennes, être restés enfermés longtemps en Italie avant de pouvoir arriver, surtout au moment de la crise COVID.
Ce qui m’a également impressionné et qu’il a fallu qu’on régule au bout d’un moment dans les entretiens, c’est les personnes te montrant assez facilement des photos, des vidéos des évènements de leur trajet. Et là tu vois tout, et tu es peut-être une des 1ères personnes à recevoir ça. Les récits de tortures parfois peuvent être choquants, surtout que certains les minimisent.
Quant à l’arrivée en France, les femmes qui sont violées dans les réseaux de prostitution : comment on répond à ça ? Des femmes venaient à la PADA avec leurs macs qui attendaient dehors. Certaines filles nous l’ont dit en consultation : « chez moi, ce n’est pas safe ». Alors, on appelait le 115, en espérant une place, on faisait signaler la situation par le médecin.
Ça m’est arrivé d’accompagner une femme dans un hôtel 115. Ce n’était même pas un hôtel, en tous cas pas affiché comme tel, juste un immeuble. Et là tu vois que, parce que tu accompagnes la personne, et que tu passes pour un travailleur social, l’hôtelier va rapidement déboucher les toilettes ou changer les draps dans la chambre, mais si la fille s’était présentée seule, il ne l’aurait jamais fait. Ce type de « mise à l’abri » fragilise encore plus.
Comment finalement avez-vous accompagné ces personnes dans leur accès aux soins, suite aux consultations dans le cadre de l’étude ?
Si nous détections quelque chose le jour de présence de la PASS mobile, les lundis, nous orientions directement au camion. Cela a eu pour conséquence intéressante : une hausse des consultations à la PASS mobile, les orientations se faisant plus facilement, avec fluidité.
Pour les autres jours, nous orientions les personnes vers la PASS Conception, sur des créneaux bloqués. Sauf que la problématique est toujours la même : comment traverser la ville alors que tu ne parles pas la langue, n’a pas accès au numérique, que tu n’as pas d’argent pour les transports et que tu souffres de troubles de la concentration etc ?
Ainsi, de nombreuses personnes ne pouvaient pas honorer leur rendez-vous à la PASS Conception car il leur était trop difficile de s’y rendre.
En conclusion, qu’est que tu penses qu’il est important de défendre, de mettre en avant pour améliorer l’accès aux soins de ces personnes ?
Il est important d’avoir des dispositifs d’aller-vers, comme la PASS mobile ou la PASS de ville qui a redémarré en septembre et va faciliter les orientations, l’accès au droit en santé. On minimise beaucoup les difficultés à se déplacer dans une ville comme Marseille. Comme le démontre l’enquête, 9 personnes sur 10 semblent avoir des troubles psychiques. Concrètement, cela veut dire une fatigue énorme, des difficultés à se concentrer, à se repérer, alors qu’en parallèle les gens reçoivent une quantité d’informations importantes en début de procédure d’asile surtout.
L’offre de soin est trop explosée entre les PASS, le CLAT, les associations : c’est un labyrinthe.
Il faut faire plus de qualitatif. Est-ce que les personnes sont prises correctement en charge ? Est-ce qu’on peut donner un ticket de métro pour faire Bougainville-Hôpital Nord ou Conception ? Est-ce qu’on peut donner autre chose que l’adresse du restaurant social Noga qui est en centre-ville ?
Enfin, le problème des délais de carence administratifs pour les droits en santé est un véritable obstacle à l’accès aux soins, ainsi que les problématiques de CSS (Complémentaire Santé Solidaire). Qui s’en occupe ? Quels sont les moyens mis pour faciliter ces démarches ?
Je dirais que tout est réuni pour que les gens décompensent physiquement ou psychiquement. L’asile et les procédures administratives les fragilisent et on ne répond pas à cette fragilité.