Charlène Cuartero Saez, Coordinatrice des missions dans les zones d’attente pour l’Anafé
L’Anafé (Association Nationale d’Assistance aux Frontières pour les Étrangers) lutte pour la fin de l’enfermement des enfants, l’accès au juge pour toutes les personnes étrangères en zone d’attente, la fin de l’enfermement administratif des personnes étrangères, et la mise en place d’une permanence gratuite d’avocats dans les zones d’attente pour garantir l’accès aux droits des personnes. Entretien avec sa coordinatrice des missions dans les zones d’attente, Charlène Cuartero Saez.
Bonjour Charlène, est-ce que vous pouvez vous présenter et vos fonctions au sein de l’Anafé en quelques mots ?
Pour l’Anafé, je suis en charge de coordonner les activités en zone d’attente. Je suis salariée de l’association depuis 4 ans et demi. Avant ça j’ai été bénévole pendant un an, ce qui m’a permis de mener les activités de terrain de l’Anafé. Je suis juriste mais tous les membres de l’équipe ne le sont pas forcément.
Quelles sont les missions de l’Anafé ?
L’Anafé est l’Association Nationale d’Assistance aux Frontières pour les Étrangers. Elle existe depuis une trentaine d’années.
L’objet social de l’association est de venir en aide aux personnes qui se trouvent ou se sont trouvées en difficulté aux frontières ou en zone d’attente. Nous avons deux principaux projets : les frontières intérieures terrestres, nous travaillons surtout sur les frontières franco-italienne et franco-espagnole ; et les zones d’attente.
Pour chacune des activités, on décline tout un tas d’autres activités menées par les bénévoles qui vont nourrir les aspects politiques de l’association. Ainsi, c’est vraiment le volet opérationnel qui va nourrir le politique, à savoir l’analyse, le plaidoyer, la communication, le contentieux.
Une de nos particularités c’est que nous avons été créés et nous sommes toujours en partie composés aujourd’hui d’associations et de syndicats. Nous sommes donc assez riches en termes de connaissances et de personnes ressources.
Nous avons donc des membres organisations et des membres à titre individuel, c’est-à-dire des personnes physiques qui s’investissent plus sur le côté politique de l’association et qui ont le droit de vote à notre assemblée générale (environ une trentaine de personnes).
A cela s’ajoute des bénévoles qui ont des rôles différents :
- les observateurs aux frontières intérieures terrestres,
- les visiteurs de zone d’attente,
- les intervenants en zone d’attente,
- les interprètes.
Nous restons une petite association, nous nous connaissons toutes et tous.
Est-ce que vous pouvez nous expliquer la différence entre un visiteur de zone d’attente et un intervenant ?
En ce qui concerne les visiteurs, il faut savoir qu’en France, une dizaine d’associations sont habilitées par le CESEDA (Code de l’Entrée et du Séjour des Étrangers et du Droit d’Asile) à visiter les zones d’attente. Il y a donc l’Anafé, des associations qui sont membres de l’Anafé, et des associations extérieures à l’Anafé.
Chaque association se voit remettre 10 cartes de visiteur qu’elle distribue à ses représentants.
Ce sont ces personnes-là qui auront le droit de visiter les zones d’attente.
Autrement dit ces visiteurs accrédités auront le droit de :
- se rendre sur les lieux munis de leur carte,
- constater les conditions matérielles d’enfermement,
- questionner la PAF (Police Aux Frontières) sur la mise en œuvre des procédures, autrement dit comprendre comment les personnes ont accès à leurs droits ou pas.
Cela est très important puisque ça va nous permettre à la fois de mieux comprendre le fonctionnement de la zone d’attente, et donc ensuite de pouvoir dénoncer les violations des droits si et lorsqu’on les constate.
Un intervenant en zone d’attente est un bénévole de l’Anafé qui va mener nos activités de terrain.
Ces activités sont :
- les permanences juridiques téléphoniques menées depuis le siège à Paris, elles nous permettent de contacter directement les personnes maintenues en zone d’attente dans toute la France métropolitaine et Outre-mer ; c’est notamment par ce biais qu’on est en contact avec les personnes maintenues à Marseille ;
- les permanences physiques à l’aéroport de Roissy ; l’Anafé a signé une convention avec le ministère de l’intérieur qui nous délivre 20 habilitations pour nous rendre dans cette zone, la plus grande de France, elle intervient dans cette zone à titre gratuit : c’est-à-dire que nous ne sommes pas du tout dans la même logique que les appels d’offre pour les CRA ; nous n’avons pas de droit d’accès permanent aux autres zones d’attente en France en dehors de celle de Roissy, car ce n’est pas prévu dans les textes ;
- les observations d’audience au tribunal ;
- et le suivi individuel de personnes placées en garde à vue ou refoulées.
Avec tout ça, nous parvenons à avoir un regard sur ce qui se fait à la frontière : de l’arrivée/entrée de la personne sur le territoire, à l’enfermement et les conséquences de l’enfermement, jusqu’au passage devant le juge et à la sortie de zone d’attente, quelle qu’en soit l’issue (éloignement ou admission sur le territoire).
Il m’arrive encore régulièrement de faire une journée de permanence. Mais ça reste une journée très lourde, difficile. Intervenir dans un lieu de privation de liberté, ce n’est pas quelque chose d’anodin et je ne peux pas le faire très souvent.
Pouvez-vous nous expliquer le fonctionnement d’une zone d’attente ? De quoi s’agit-il exactement ?
Il y a en France une centaine de zones d’attente (France métropolitaine et Outre-mer). La zone d’attente, c’est un lieu administratif de privation de liberté où l’État va enfermer les personnes qui ne sont pas autorisées à entrer sur le territoire, à qui on refuse l’entrée sur le territoire.
Il peut s’agir de personnes qui arrivent d’un État extérieur à l’Union Européenne (UE). Depuis 2015, cela concerne également les personnes arrivant d’une frontière intérieure à l’UE, avec le rétablissement des contrôles aux frontières intérieures à l’occasion de la COP21 organisée à Paris.
Si on reprend le CESEDA : la zone d’attente va des portes de l’avion, du bateau, du train jusqu’au lieu de contrôle. C’est ce qu’on va appeler la zone internationale.
Et, toujours dans le CESEDA, on demande à ces zones d’assurer « des prestations de type hôtelier ».
Sauf que ces prestations vont être complètement différentes d’une zone d’attente à l’autre. Par exemple, à Roissy, il y a environ 157 places d’hébergement dans la zone d’attente elle-même. Donc c’est important et bien équipé. On trouve les bureaux de l’OFPRA, un cabinet médical, la Croix Rouge et donc l’Anafé. C’est là aussi où il y a le plus de monde enfermé.
À Orly par exemple, les personnes sont maintenues le jour dans une salle dans l’aéroport à côté des lieux de contrôle, et la nuit elles sont transférées à l’hôtel Ibis en face de l’aéroport. À Nantes, les personnes sont enfermées 24h/24, 7jours/7 dans un hôtel en face de l’aéroport. Et à Marseille, on est sur un fonctionnement encore différent et assez particulier.
Oui, justement, pouvez-vous dire comment est organisée la zone d’attente de Marseille ?
A Marseille, les personnes peuvent arriver par 2 points d’entrée différents :
- l’aéroport Marseille-Provence à Marignane pour les arrivées par avion,
- le grand port maritime de Marseille pour les arrivées par bateau.
A l’aéroport de Marseille, les personnes sont enfermées dans deux cellules qui se situent dans le sous-sol de l’aéroport, juste en dessous du poste de police. Les conditions y sont lamentables : pas de lumière naturelle, pas de possibilité de prendre l’air, c’est sale, c’est abîmé. Cela est d’ailleurs valable à la fois pour les locaux de la zone d’attente mais aussi pour ceux de la police.
Les conditions d’enfermement de l’aéroport sont clairement scandaleuses, et ne répondent pas du tout à ce dont je parlais plus tôt, à savoir cette « prestation de type hôtelier » mentionnée par le CESEDA.
Au port de Marseille, il n’y a tout simplement pas de lieu d’hébergement prévu. Mais bien sûr, ce n’est pas pour ça que la police ne va pas quand même enfermer les personnes.
Ce qui va se passer c’est que les personnes qui arrivent au port vont être transférées dans une aile du CRA (Centre de Rétention Administratif) du Canet. C’est-à-dire qu’un côté du centre est dévolu à la zone d’attente. En gros ce sont deux longs couloirs avec des chambres (identiques à celles du CRA).
Il faut savoir qu’en ce qui concerne la zone d’attente de l’aéroport, les conditions d’enfermement sont tellement difficiles qu’en pratique les personnes ne peuvent pas y rester longtemps.
Normalement les personnes peuvent rester enfermées jusqu’à 20 jours en zone d’attente. Or dans cette zone d’attente de l’aéroport, elles n’y restent pas plus de 48h, avant d’être transférées au Canet.
Est-ce que vous avez des données, notamment chiffrées, sur les personnes détenues en zone d’attente à Marseille ?
C’est toujours compliqué pour nous de recevoir les données statistiques du Ministère de l’Intérieur. Nous ne les avons pas pour 2021. En 2020, qui était une année assez particulière du fait de la crise sanitaire, nous savons qu’il y a eu :
- 235 placements dans la zone d’attente de l’aéroport,
- 24 placements pour le port.
On peut dire que Marseille est une zone d’attente plutôt très active. On est très loin de Roissy, mais ça reste quand même des chiffres importants.
En tous cas ce qui est clair c’est qu’en zone d’attente sont enfermées des personnes avec des profils administratifs différents. Il y a :
- des demandeurs d’asile en recherche de protection, c’est-à-dire des personnes qui vont être obligées de faire une demande d’asile à la frontière, selon une procédure très particulière qui est différente de la demande d’asile sur le territoire français ;
- des personnes qui viennent pour du tourisme ou pour une visite privée et à qui il manque une pièce justificative, ou qui représente pour les autorités un « risque migratoire » et c’est ce qui va justifier leur enfermement ;
- des personnes en « transit interrompu », elles arrivent d’un pays hors Schengen, transitent par Marseille pour aller dans un autre pays hors Schengen et se font arrêter.
Bien sûr il y a des hommes, des femmes, des personnes transgenres, des adultes, des mineurs et notamment des Mineurs Non Accompagnés (MNA).
Sur ce point justement, de la détention des MNA, les zones d’attente diffèrent des autres lieux de privation administrative de liberté où les MNA ne peuvent pas être enfermés. À Marseille notamment on suit régulièrement des MNA, des demandeurs d’asile.
La frontière est un peu à chaque fois l’excuse qui va permettre l’enfermement.
Quelles sont les revendications de l’Anafé par rapport à ces situations ?
Nous demandons :
- la fin de l’enfermement des enfants,
- la fin de l’enfermement administratif des personnes étrangères plus généralement,
- un accès au juge pour toutes et tous (il faut savoir qu’en zone d’attente les personnes n’ont pas du tout l’obligation d’être présentées devant un juge avant leur éloignement),
- la mise en place d’une permanence gratuite d’avocats dans les zones d’attente pour garantir l’accès aux droits des personnes.
Aujourd’hui en France, il n’y a aucune autre association qui travaille sur l’accès aux droits des personnes étrangères en zone d’attente à part nous…
Comment ça se passe concernant l’accès aux soins en zone d’attente ?
C’est comme pour le reste, l’accès aux soins dans les zones d’attente est différent d’une zone à l’autre.
La seule zone d’attente où le soin est plus ou moins organisé est celle de Roissy.
Dans tous les aéroports, il y a un service médical d’urgence, mais à Roissy il y a un cabinet médical où des soignants sont présents tous les jours.
Dans les autres zones d’attente, et bien c’est simple : rien n’est prévu. Cela fait partie des nombreuses questions que l’on pose en visite. Quid de l’accès aux soins, c’est une question fondamentale.
Il y a donc des zones d’attente où c’est le médecin de l’aéroport qui va intervenir, d’autres où ils font appel à un médecin de ville, d’autres où SOS Médecins se déplace, et d’autres où les personnes sont automatiquement transférées à l’hôpital.
Les médecins qui interviennent ne sont jamais formés à la question de la privation de liberté, de la frontière.
Une des problématiques que l’on rencontre, sauf à Roissy où il y a un cabinet médical, c’est que la personne maintenue a toujours besoin de demander à un agent de la PAF pour pouvoir consulter. Il n’y a pas de libre accès. C’est donc la police qui va faire l’appréciation du besoin de soin, de l’urgence.
Nous avons régulièrement au téléphone des personnes qui nous disent que ça fait 2h qu’elles ont demandé à voir un médecin et qu’elles n’y ont toujours pas accès. Ou bien qui nous disent qu’elles ont vu le médecin il y a 1h, se sentent mal à nouveau, mais que la police leur refuse le droit d’y retourner.
Un autre problème que nous dénonçons est qu’il n’y a aucune possibilité de soin en santé mentale dans les zones d’attente. Dans les zones d’attente de Marseille, la pratique est le transfert vers l’hôpital. Mais toute la procédure de gestion des personnes et de leur transfert vers un service hospitalier revient à la police qui a notifié le refus d’entrée sur le territoire français.
Donc, par exemple dans les locaux du Canet : les policiers présents dépendent de la PAF du CRA. Les policiers qui ont procédé au refus d’entrée se trouvent sur le site du Grand Port.
Il faut donc, à chaque fois qu’une personne en zone d’attente sollicite un médecin, qu’un agent de la PAF du CRA appelle un agent de la PAF du Port et que ces derniers se déplacent jusqu’au CRA pour transporter la personne. C’est une perte de temps incroyable ! On nous a assuré qu’en cas d’urgence cependant, ce sont les policiers du CRA du Canet qui transportent les personnes vers l’hôpital.
Une fois à l’hôpital (à Marseille, comme dans les autres zones d’attente), il y a plusieurs cas de figure : soit la police reste dans la salle de consultation pendant la consultation, ça arrive très souvent ; soit la personne revient de l’hôpital en n’ayant rien compris du tout car il n’y avait pas d’interprète.
Les personnes ne peuvent pas du tout accéder au service médical du CRA. Ce sont deux régimes différents. On ne peut pas les mélanger : le service médical du CRA intervient dans le cadre d’une convention qui ne concerne pas la zone d’attente.
Une autre problématique que nous rencontrons et qui est liée aux soins, est l’accès au traitement.
Les traitements (et globalement toutes les affaires de la personne) sont gardés par la PAF, et ne sont pas systématiquement donnés aux personnes lorsqu’elles les demandent.
C’est vraiment aussi un processus d’infantilisation de la personne qui ne peut pas prendre son traitement quand elle le désire.
Enfin, nous contestons largement le fait que des médecins délivrent systématiquement à la demande des autorités des certificats de compatibilité de l’état de santé de la personne avec son maintien en zone d’attente et son éloignement.
Comment est-il possible de vous soutenir ?
On est toujours à la recherche de bénévoles mais aussi de visiteurs et visiteuses de zones d’attente : des personnes qui seraient prêtes à exercer ce rôle d’observation des pratiques d’enfermement.
Et c’est vrai aussi à Marseille, qui est une zone d’attente très active avec beaucoup de problématiques. On a besoin de relais sur place pour mieux comprendre, et éventuellement intervenir lorsqu’on a une situation extrêmement délicate et qu’on ne peut pas vérifier depuis Paris.