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Agnès Lerolle, Chargée de projet de la CAFI – Coordination d’Actions aux Frontières Intérieures

Agnès Lerolle, avocate de formation, travaille pour le projet inter-associatif de Coordination d’actions aux Frontières Intérieures (CAFI). Elle fait le constat de refoulements illégaux, de détentions inhumaines, et de violences policières sur la frontière franco-italienne, ayant des conséquences graves pour la santé et la sécurité des personnes exilées.

Bonjour Agnès, est-ce que tu pourrais te présenter, nous expliquer un petit peu ton parcours et ton poste ?

De formation, je suis avocate. J’ai d’abord exercé à Paris en droit de la santé, puis j’ai commencé à travailler en tant que juriste pour Médecins Sans Frontières (MSF) à Calais et Grande-Synthe. Je m’occupais de la coordination des actions juridiques et de l’appui à la compréhension des actions politiques sur le terrain, afin d’améliorer le plaidoyer de MSF. J’ai également fait tout un travail d’audit et de recommandations sur la question des Mineurs Non Accompagnés (MNA) dans le bidonville.Là-bas non plus ce n’était pas une crise sanitaire mais un problème purement politique.

Après ça, j’ai travaillé pour La Cimade, en Région Nord-Picardie, en remplacement temporaire de la déléguée régionale (association nationale d’accompagnement et de défense des droits des personnes étrangères)

Aujourd’hui, je suis chargée de projet de la CAFI, la Coordination d’actions aux Frontières Intérieures, depuis 4 ans et demi. Je suis basée à Nice. La CAFI n’est pas une association, mais un projet inter-associatif, porté par : Amnesty International France, La Cimade, Médecins du Monde, Médecins Sans Frontières et le Secours Catholique Caritas France. (www.projet-cafi.com)

Ces 5 associations se sont réunies au niveau national pour mettre en place ce projet et créer ce poste commun qui a pour objet de venir en soutien aux acteurs locaux aux frontières, afin de faire respecter les droits fondamentaux des personnes étrangères aux frontières.

Je suis seule à travailler entièrement sur le projet CAFI mais je travaille en collaboration avec de multiples acteurs, les associations de la CAFI bien sûr, au niveau national, régional et local, mais aussi tous les acteurs, associations, collectifs, etc., qui agissent au niveau des frontières dans le même objectif de défense des droits fondamentaux.

Sur quoi porte exactement le travail de la CAFI ?

Le projet, à sa création en 2017, portait uniquement sur la frontière franco-italienne. C’est un projet qui se voulait temporaire. Depuis, nous avons élargi notre travail à la frontière franco-espagnole, côté catalan et côté basque, et nous incluons, dans notre plaidoyer national, la situation à la frontière franco-britannique.

Chaque frontière a bien sur ses spécificités, mais nous menons un plaidoyer global au national afin de dénoncer des choses communes aux trois frontières : le non-accueil, le non-accès aux soins et à l’hébergement, des pratiques violentes, la non-protection des MNA, les refoulements illégaux, les difficultés voire impossibilités d’accéder aux procédures d’asile, etc.

Mon travail consiste à être en soutien des acteurs pour mettre en lumière ce qu’ils voient et ce à quoi ils assistent. Je ne suis donc pas au contact direct des personnes étrangères, mais plutôt de tous les acteurs qui les accompagnent.

Mon travail se déroule sur deux plans. Sur chaque territoire, il s’agit d’appuyer les acteurs (pas seulement les associations de la CAFI mais toutes celles impliquées sur le terrain) afin de permettre la transmission des informations, le développement du travail en réseau et la réflexion sur des actions communes à impulser. Il s’agit aussi de coordonner des actions collectives : des missions observations à la frontière des pratiques des autorités françaises, la récolte de témoignages, les actions contentieuses contre les refoulements illégaux, les actions de communication et de plaidoyer.

Au niveau national, je m’occupe de coordonner les actions des 5 associations en lien avec le projet CAFI, comme par exemple dernièrement l’accompagnement d’une commission d’enquête parlementaire sur les migrations et la tenue d’un séminaire à l’assemblée nationale (voir sur le site www.projet-cafi.com ). Quels sont vos constats par rapport à ce qui se passe sur la frontière franco-italienne ?

Que ce soit au niveau de la frontière basse (Menton) ou plus haute (Montgenèvre), on constate des pratiques de refoulements expéditifs des personnes en situation de migration, peu importe leur parcours, qui elles sont, et peu importe leur état de santé.

Il faut bien comprendre que ces refoulements systématiques pratiqués par les autorités françaises ne respectent d’aucune façon le cadre légal, et viennent violer un certain nombre de droits fondamentaux.
Par exemple :

  • les personnes n’ont pas le droit de déposer une demande d’asile, même celle qui l’exprime de manière claire aux forces de l’ordre ;
  • certains MNA (Mineurs Non Accompagnés) sont renvoyés, alors qu’ils sont mineurs et devraient donc être protégé par les services de la protection de l’enfance ; on constate ces pratiques de refoulements de MNA surtout sur la zone de Menton ;
  • les personnes sont détenues dans des lieux de privation de liberté qui n’ont aucun statut juridique ; elles sont enfermées dans des algécos, pendant des heures et dans des conditions absolument indignes ;
  • les forces de l’ordre peuvent avoir des propos racistes, des comportement brutaux, violents, à l’oral ou physiquement ; nous avons beaucoup de témoignages. Je pense notamment à ces personnes qui s’étaient enfermées dans les toilettes d’un train pour échapper au contrôle. Les forces de l’ordre ont réussi à entrouvrir la porte et les ont aspergées de gaz lacrymogène jusqu’à la limite de l’évanouissement.

Qui sont ces personnes refoulées ?

Des personnes qui ont déjà traversé la Libye ou la Tunisie, puis la Méditerranée, et l’Italie. Des personnes qui viennent du Soudan, d’Érythrée, d’Afrique de l’ouest. Ou bien des personnes qui arrivent d’Afghanistan, d’Irak, etc., qui ont pris la route des Balkans, où ils racontent également des refoulements extrêmement violents de la part de la police croate ou serbe. Certaines arrivent avec des blessures encore vives sur les jambes ou autres, suite aux violences vécues en Croatie, et sont pourtant refoulées comme les autres. Nous rencontrons tous les profils : des personnes seules, hommes ou femmes, des familles, avec parfois de très jeunes enfants, des MNA.

On peut voir des familles de 10 personnes avec bébés qui se font arrêter à Menton, vont passer la nuit dans le tout petit local non chauffé dans le poste de la Police aux Frontières (PAF), qui vont ensuite être refoulées côté italien, et doivent alors marcher encore 2h du côté de Vintimille pour rejoindre la ville qui ne propose aucune solution d’accueil. Seules des associations tentent d’offrir quelques places d’hébergement pour des familles.

En général, les gens qui arrivent en Italie traversent le pays assez rapidement, et n’imaginent pas du tout être refoulés à cette frontière-là. Après les épreuves de la route de l’exil, ils pensent que ce sera plus facile, mais ils sont à nouveau interpellés, arrêtés, renvoyés. Parmi eux beaucoup souhaitent rejoindre de la famille, des membres de la communauté, un pays où ils peuvent parler la langue, trouver un travail, etc.
Beaucoup veulent aller en Allemagne, au Royaume-Uni, en Espagne, dans d’autres villes de France, ou en PACA.

Quels sont les effets de la fermeture de la frontière franco-italienne et de l’ultra-surveillance par les forces de l’ordre de cette zone ?

La première conséquence, que l’on constate énormément dans les témoignages récoltés, va être que les gens sont obligés, et ce beaucoup plus qu’avant, de prendre plus de risques pour franchir la frontière, ou de faire appel à des passeurs pour les aider à franchir la frontière.

Cette frontière étant fermée depuis 2015, les chemins de passage sont devenus de plus en plus difficiles.
Fin 2020, un nouvel accord a été signé entre les forces de l’ordre françaises et italiennes en vue de mettre en place des brigades mixtes. Dès lors, les contrôles ont commencé dès la gare de Vintimille pour empêcher les gens de prendre le train avant le passage de la frontière.

Donc les personnes sont depuis quasiment obligées de trouver des voies de passage autres, qui peuvent les mettre en danger. Pour nous, c’est ça la conséquence directe de l’accord et de la fermeture de la frontière. De leurs côtés, les autorités des deux pays ne communiquent que sur un seul élément : ils se félicitent de l’arrestation de personnes qui ont facilité le passage.

Aujourd’hui, les gens doivent soit emprunter des chemins piétons très difficiles et dangereux, soit payer des passeurs de plus en plus chers. Depuis la fermeture de la frontière on constate aussi une augmentation des cas de traite des êtres humains (même si cela est très difficile à documenter vu qu’il n’existe pas de lieu d’accueil ni de politique de protection des autorités). Ces lieux de passage vont en effet être d’autant plus compliqués à franchir pour les femmes.

Concernant la dangerosité des voies de passage empruntés par les personnes, je repense à la situation de ce monsieur, fin 2019, qui était tombé dans un ravin à proximité de Menton.
Il s’est tenu pendant des heures à des branches en criant, jusqu’à ce que des personnes l’aperçoivent et appellent les secours. Il a été hélitreuillé jusqu’à l’hôpital de Menton. Le lendemain, lors de nos observations du local de détention de la PAF de Menton, nous l’avons vu revenir, escorté par des policiers. Il était toujours en blouse d’hôpital. Deux heures plus tard, il était refoulé côté italien.

On constate aussi les effets de la fermeture des frontières sur la santé, et notamment mentale, des personnes en situation de migration. Ce que nous disent les bénévoles de Médecins du Monde ou d’autres associations du côté italien, c’est que les situations de refoulement par les forces de l’ordre française vont parfois réactiver des traumatismes plus anciens. Au-delà de la non prise en charge et du non accueil, le refoulement va aussi rajouter une expérience traumatique. Je repense à cette petite fille qui a décompensé après avoir été refoulée à Montgenèvre. Sa famille avait témoigné que les forces de l’ordre françaises, pour procéder au refoulement, les avaient pointés, elle et sa famille, avec leurs armes à feu.

Et puis bien sur la conséquence la plus extrême de la politique de fermeture de la frontière va être les morts. On constate quand même plus de 40 morts à la frontière franco-italienne depuis 2017 : des personnes qui sont tombé d’un sentier difficile, qui ont été électrocutés sur le toit d’un train, qui sont mortes de froid dans la montagne, etc.

Dernièrement, une enquête a été menée avec l’ONG Border Forensic, avec l’association Tous Migrants au sujet de la mort d’une femme, Blessing Matthew, dont le cadavre a été retrouvé en 2018 dans la Durance, au niveau du barrage de Prelles (https://tousmigrants.weebly.com/justice-pour-blessing.html ), pour que l’enquête ayant dédouané les gendarmes soit réouverte.

Tout ça sous prétexte d’une décision politique de fermeture de frontière.

On sait donc bien que la présence, la matérialisation de la frontière n’est que négative pour les personnes, pour leur intégrité, sans même parler de leurs droits qui ne sont pas respectés.

Est-ce que tu peux nous en dire plus sur les conditions d’enfermement à Menton ?

À Menton, la frontière est matérialisée notamment par le Pont de Saint-Louis. Le local de la PAF se trouve juste à côté, en France. Le poste de police italien étant fermé la nuit, les personnes ne peuvent être renvoyées en Italie par les forces de l’ordre françaises à partir de 19h jusqu’au lendemain matin.

En raison de cette impossibilité, les forces de l’ordre de Menton enferment les gens la nuit, avant de les refouler le lendemain. Au début, ils ont détenu les personnes à l’air libre, dans une espèce de zone balisée et surveillée à côté du local de la police. Puis ils ont installé des algécos.

Les personnes y sont enfermées à partir de 19h jusqu’au lendemain 8h. Mais elles sortent 10 par 10, et donc les sorties peuvent s’échelonner de 8h du matin jusqu’à parfois midi. Au début, les autorités ne distribuaient pas de repas, ne permettaient pas aux personnes d’accéder à leurs bagages, et donc à leurs traitements médicaux, les femmes et les hommes étaient mélangés dans le même algéco. Cela s’est récemment amélioré, nous entendons moins ce type de témoignages de la part des personnes. Un petit panier repas est distribué. Apparemment, les forces de l’ordre donnent plus facilement accès aux médicaments et appellent les pompiers en cas d’urgence médicale.

Les familles sont enfermées à part, dans une petite pièce à l’intérieur du poste de police. C’est une pièce assez petite, avec quelques bancs. Là, toutes les familles sont enfermées ensemble, on a donc ensemble des hommes, des femmes et des enfants qui ne se connaissent pas. Les MNA sont enfermés là également.
Les MNA qui sont considérés comme adultes par les forces de l’ordre sont enfermés dans l’algéco des hommes.

On peut bien sur penser que ces conditions de détention sont une souffrance psychologique pour les personnes, qui peut évidemment réactiver des traumas, d’autant plus si les personnes ont déjà vécu des situations d’enfermement, voire de torture. Parfois, depuis l’extérieur du local, on peut entendre des cris de personnes qui se sentent très mal à l’intérieur…

Quel accès aux soins est possible pour les personnes que la PAF arrête, que ce soit vers Briançon ou vers Menton ?

En premier lieu, les personnes devraient toujours avoir accès à un médecin, peu importe leur état de santé, ce qui n’est pas le cas en pratique. Pour les personnes présentant des difficultés de santé plus graves, tous les accès aux soins ne sont pas refusés par les forces de l’ordre, même si cela se fait de façon discrétionnaire et que parfois on a des témoignages de demandes d’accès aux soins en raison de pathologie, et que ces demandes sont refusées.

Dans certains cas, les policiers vont conduire les personnes qui ont besoin de soin à l’hôpital le plus proche (hôpital de Briançon ou de Menton).

Nous constatons ensuite des pratiques différentes au sein de ces deux hôpitaux.
Globalement, les personnes qui sont amenés à l’hôpital de Briançon, vont pouvoir rester sur le territoire français à la fin des soins, alors qu’à l’hôpital de Menton, la police reste avec les personnes ou les soignants rappellent les policiers de la PAF à la fin de la consultation, et ensuite les personnes sont refoulées en Italie.

Quelles sont les conséquences à plus long terme de cette violence politique ?

Les associations ne peuvent plus suivre les gens, qui « s’invisibilisent » et donc nous ne savons pas forcément ce qu’ils deviennent, mais on imagine bien que leur état de santé psychique ou physique est affecté par les interpellations, les refoulements et le non-accueil de manière générale.