« Le prisonnier tient le coup parce que le corps a une capacité de résistance infinie. Si son corps ne résiste pas, il meurt. Fin de la torture.
Mais d’abord, bien plus fort et nécessaire que la capacité du corps à supporter la douleur, il y a quelque chose qui fait que le prisonnier tient le coup. Ce n’est pas son idéologie, ce ne sont même pas ses idées, et ce n’est pas la même chose chez tous. Le torturé s ’accroche à quelque chose qui est au-delà du rationnel, du formulable. Ce qui le soutient c’est sa dignité. Ce n’est peut-être même pas la dignité du militant politique, mais une autre, plus primitive, faite de valeurs simples, apprises il ne sait pas quand, peut-être à la table de la cuisine de chez lui, quand il était enfant, au travail, sur les bancs de l’école. Ce n’est pas une dignité abstraite, mais une dignité très spécifique. Celle de savoir qu’un jour il devra regarder en face ses enfants, sa compagne, ses camarades, ses parents. Même pas autant de personnes : il lui suffit de vouloir, un jour, se sentir digne devant une seule personne. » (p. 81)
Carlos Liscano est né en 1949 à Montevideo, en Uruguay. Condamné par le régime militaire alors qu’il n’a que vingt-deux ans, il passe treize ans en prison. Libéré en 1985 il s’exile en Suède jusqu’en 1996. Depuis il partage sa vie entre Montevideo et Barcelone. C’est en prison que Carlos Liscano a commencé à écrire. Romancier et nouvelliste l’écrivain est aussi poète, journaliste et dramaturge. Son œuvre est désormais reconnu comme l’une des plus importantes d’Amérique latine.