Le récit ci-dessous est publié avec l’aimable autorisation de Mathieu Pernot, photographe. Pour plus d’information sur son œuvre :
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Je m’appelle Jawad, je suis afghan et j’ai 26 ans. Je suis née en 1986 dans un quartier pauvre de Kaboul. En 1989, mon père, Moudjahidin, est menacé par le gouvernement afghan et nous sommes obligés de quitter Kaboul pour nous installer en Iran. Dans ce pays, mes parents n’ayant pas la carte de séjour, je ne peux aller à l’école. Ils réussissent alors à récupérer les papiers d’identité d’une autre personne ce qui me permet d’être scolarisé dans des cours du soir avec des gens plus âgés. Grâce à cela, je sais lire et écrire. Une fois ma scolarité terminée, je veux rentrer dans une université islamique mais encore une fois, étant afghan, je ne peux y accéder alors que cela est possible pour les personnes originaires de tout autre pays du monde. Le gouvernement iranien est très injuste, il est contre la présence des réfugiés afghans et nous ne recevons l’aide d’aucune personne. Après avoir vécu dix sept ans dans ce pays, je suis arrêté par la police qui me renvoie en Afghanistan. Ne pouvant plus rester dans aucun de ces deux pays, je prends la décision de partir en Europe. Je décide d’aller d’abord en Turquie avec d’autres afghans et l’aide d’un passeur.
Après nous avoir fait traverser la frontière iranienne, le passeur nous récupère en voiture dans la ville de Van. Avec d’autres passagers pakistanais, nous sommes comme des moutons dans un véhicule où nous voyageons pendant vingt quatre heures sans pouvoir manger ni boire. Nous arrivons complétement épuisés à Istanbul où nous restons trois jours. Ensuite le passeur nous emmène à Ezmir en bus et nous laisse dans une maison. Un soir, il nous entraine dans une forêt que nous devons traverser pendant plus de trois heures pour finalement arriver au bord de mer en pleine nuit. Il nous laisse sur le rivage et part seul dans un bateau à moteur. Nous passons la nuit et le lendemain, le passeur vient nous apporter du pain, de l’eau et un bateau pneumatique qu’il gonfle et cache dans les fourrés. Peu de temps après, des policiers passant à proximité découvrent notre embarcation ; nous avons peur et partons nous cacher dans la montagne. Nous n’avons plus de nourriture ni d’eau. Nous avons faim et soif. Nous ne comprenons pas ce qui se passe et appelons le passeur à l’aide. Dans la nuit, nous descendons de la montagne et allons au bord de mer. Sans eau ni nourriture, nous perdons espoir. Je rêve de pouvoir manger du pain. Nous ne comprenons pas ce que nous devons faire et prions Dieu de nous aider. Soudainement, le passeur arrive avec plein de bouteilles d’eau ! Il devient un ange gardien pour nous ! Il décide de nous ramener en ville mais perd son chemin dans la forêt. Nous errons dans la nature pendant plusieurs heures. Une dizaine de mes amis décident alors de partir de leur côté et prennent une autre direction. Ils me proposent d’aller avec eux mais je préfère rester dans le groupe du passeur. Je n’ai jamais revu mes dix amis qui se sont probablement perdus dans la forêt. Nous sommes plus que vingt dans le groupe au lieu des trente du début. Nous marchons encore et finissons par trouver une grange où nous passons la nuit.
Le lendemain, nous reprenons notre chemin et passons à côté d’un village en rampant de peur d’être vus par les habitants. Nous arrivons dans un tunnel sous l’autoroute et y restons une journée entière. Le soir, quelqu’un nous prend en voiture et nous dépose dans une ville que nous ne connaissons pas. Lorsque nous descendons de la voiture, un homme vient nous parler mais nous ne comprenons pas ce qu’il nous dit. Il se met à crier Police ! Police ! À ce moment là tout le monde se met à courir très vite dans tous les sens. Finalement, nous arrivons à retrouver notre passeur qui nous amène à côté d’une plage. Il gonfle un bateau pneumatique et nous fait monter dedans. Il nous montre une lumière de l’autre côté de la mer en nous disant que c’est la Grèce. Notre petit bateau navigue sur une très grande mer.
Lorsque nous nous approchons de la Grèce, nous voyons le soleil se lever sur la mer. Je me dis alors que nous quittons l’obscurité et le malheur pour aller dans la lumière et un monde meilleur. Mais peu de temps après, la police grecque nous repère et se dirige vers nous pour nous arrêter. Le capitaine de notre bateau décide alors de crever le pneumatique de notre embarcation pour que nous soyons en situation de naufragés et que les grecs ne puissent nous ramener en Turquie. Nous sautons dans l’eau et nageons jusqu’à la côte. Sur le bateau, il y a une femme enceinte qui ne sait pas nager et qui reste à bord en attendant que la police vienne la chercher. Lorsque nous arrivons sur le rivage, nous grimpons sur une montagne en espérant trouver une ville de l’autre côté. On arrive au sommet et on découvre un chemin qui nous mène à Samos. De là, nous souhaitons aller à Athènes mais malheureusement la police nous prend et nous envoie dans un camp de réfugiés semblable à une prison.
Dans ce camp, je rencontre un afghan qui me propose d’aller en Norvège car il semblerait que ce soit un pays accueillant pour les gens dans notre situation. Pour y arriver, il nous faut traverser la Macédoine, Serbie, Hongrie, Autriche, Allemagne, Danemark et Suède. Je passe la Macédoine et arrive en Serbie. Dans ce pays, la police m’arrête avec mes amis dans la ville de Nis. Nous sommes convoqués chez le juge qui nous demande de payer soixante-dix euros chacun et nous condamne à passer dix jours en prison. En arrivant dans le centre de détention, on nous demande de nous déshabiller devant tout le monde et de subir une fouille au corps, ce qui est très difficile à supporter pour moi. Je reste dix jours en prison parmi des assassins et trafiquants de drogue. Nous sommes comptés trois fois dans la journée. Ces dix jours furent aussi long que cent ans pour moi.
À notre sortie de prison, on ne nous donne aucun document pour circuler librement dans ce pays. Les policiers de Nis nous indiquent simplement que si nous sommes arrêtés par d’autres policiers de Serbie, il faudra que ceux-ci se mettent en contact avec eux. Le matin, nous prenons le train jusqu’à la ville de Subotica située à la frontière de la Hongrie et sommes à nouveau détenus le soir et conduits au juge le lendemain. Nous lui disons que nous avons été incarcérés à Nis mais cela ne sert à rien. Le magistrat nous indique qu’il faut payer ou bien aller en prison. N’ayant pas d’argent, nous retournons en détention. Cette prison est encore plus dure que celle de Nis. Nous ne pouvons sortir de la cellule et marcher dans la cour qu’une heure par jour. Il n’est possible de se laver qu’une fois par semaine et on ne peut rester que deux minutes dans la salle de bain.
Par la suite, nous réussissons à passer la frontière pour la Hongrie, mais à peine arrivés, nous sommes arrêtés et conduits dans un camp de réfugiés à Békéscsaba. Dans ce camp, nous devons faire la queue pour pouvoir manger une banane, une pomme ou une poire. Pour manger un fruit, il faut signer à chaque fois deux ou trois documents. Nous sommes toujours surveillés par des caméras et des gardiens violents qui frappent les gens qui essayent de s’enfuir. Nous n’avons pas le droit de répondre ou de poser des questions et nous ne comprenons pas si nous sommes considérés comme des réfugiés ou des prisonniers. Malgré la présence des gardiens, j’arrive à passer au dessus des barbelés et à m’enfuir du camp.
Je vais d’abord à Budapest puis Vienne où je prends le train pour Hambourg sans acheter de billet. Dans le wagon, je me cache dans une cabine sous le lit d’une couchette. La femme âgée qui dort au dessus de moi se rend compte de ma présence au milieu de la nuit et appelle le contrôleur pour qu’il prévienne la police. Je le supplie de ne pas le faire ! Finalement, j’arrive à Hambourg sans avoir été arrêté. Je suis seul et je marche. Je cherche un train pour aller au Danemark. Là, encore une fois, la police m’interpelle. Je pourrais m’enfuir mais je suis tellement fatigué et affamé que je me laisse prendre. On m’emmène alors au commissariat et me présente un document écrit en Dari dans lequel il est indiqué que je suis un criminel. Je leur demande pourquoi me considère t-on comme un criminel alors que je n’ai rien fait de mal. Ils me répondent que le fait d’être entré en Allemagne sans papiers constitue un crime. Comme je n’ai pas le choix, je signe ce document. Ma situation empire chaque jour d’avantage. En Hongrie, je signais un papier pour manger une pomme et en Allemagne, je signe un document pour reconnaître que je suis un criminel. Après les formalités administratives, la police m’envoie dans une prison très dure. À l’intérieur, je pense aux deux Guerres mondiales et à l’époque d’Hitler. Je suis très triste et prie Dieu pour retrouver la liberté. Je suis écouté puisque le lendemain, je sors de prison. On me donne l’adresse d’un camp de réfugiés pour faire une demande d’asile.
Dans ce camp, il y a un bâtiment très beau dans lequel je reste pendant plusieurs jours. Après avoir passé des semaines sans bien manger, je trouve enfin de la bonne nourriture. C’est très agréable pour moi. Mais quand je me mets à penser que la police allemande va peut-être m’arrêter pour me conduire en Hongrie, je me dis que la nourriture est peut-être empoisonnée ! Après deux ou trois jours, le responsable du camp me donne un papier avec un billet de train pour aller à Neumünster dans un autre camp. Je reste presque trois mois dans ce nouveau camp très confortable. Il y a une salle de sport dans laquelle je vais m’entraîner. Je cours dans les rues de la ville avec un grand plaisir. Un matin, très tôt, un policier tape à la porte de notre chambre et demande à contrôler nos papiers. Je lui montre mon récépissé et il me dit que je dois retourner en Hongrie. Il me demande de ranger mes affaires, je lui dis que je n’en ai pas. Il regarde mon armoire, constate qu’il n’y a rien dedans et me demande de le suivre. Le policier m’amène dans un centre de rétention à l’aéroport et j’attends là jusqu’à 10 heures du matin. On me fait monter dans un avion qui m’amène à Budapest. Pendant les deux heures de vol, je me dis que j’ai perdu tous mes amis et toute ma vie en Allemagne.
Dans l’avion, je prends la décision d’aller en France parce que dans le camp où j’étais, j’avais un ami qui m’avait expliqué que ce pays était accueillant. L’avion atterrit à Budapest à 12h et j’attends à l’aéroport jusqu’à 1h du matin.
Dans la nuit, je monte dans un bus remplit de gens malheureux qui, comme moi, ont fui la Hongrie et se retrouvent à nouveau dans ce pays. Le bus nous emmène à 8 h du matin dans le camp de Békéscsaba. Je passe une nuit dans le camp et essaye de m’enfuir à nouveau le lendemain matin. Mais malheureusement, je me coupe la main sur les barbelés et saigne beaucoup. Comme je suis blessé, je me laisse arrêter par les gardiens qui m’attrapent sans difficultés. Malgré ma blessure, ils me ramènent directement au camp sans que je me fasse soigner. Le responsable du camp que je vais voir pour lui montrer ma coupure décidera finalement de me faire conduire à l’hôpital. Je suis resté dans le camp une dizaine de jours. Par la suite, on me donne une carte avec une feuille à présenter pour aller dans le camp de la ville de Debrecen. Ce camp est réservé aux personnes qui demandent l’asile. J’y reste pendant 25 jours. La vie y est très difficile. Il n’y a pas de « droits de l’homme ». Ce camp est comme une prison à la différence qu’il est possible d’en sortir. Parfois, les policiers viennent avec six ou sept chiens pour chercher des choses dans les chambres. Quand on leur demande pourquoi ils viennent avec des chiens ils nous répondent que ce ne sont pas des chiens mais des collègues ! J’ai détesté vivre en Hongrie et j’ai donc décidé, avec mes amis, de partir en France.
Nous essayons d’y aller en taxi. Celui -ci nous emmène d’abord en Autriche, puis en Italie où nous descendons à Milan. Là, nous prenons le train jusqu’à Vintimille et passons la frontière avec la France à pied. Nous devons traverser un tunnel ferroviaire très étroit. Si au moment où nous étions dans le tunnel, un train était venu, je ne serais plus là pour écrire cette histoire.
Quand nous arrivons en France, nous découvrons une ville très jolie. C’est Monaco. Il y a beaucoup d’orangers pour décorer la rue mais pour nous il s’agit avant tout de bonne nourriture. Nous mangeons des oranges et en mettons quelques unes dans nos sacs. Sur le chemin, nous rencontrons un arabe. Nous lui demandons comment nous pourrions aller à Paris. Il nous dit de monter dans le bus numéro cent pour aller à Nice et de prendre un train pour la capitale. Mais à Nice, quand nous demandons comment faire pour prendre un train pour aller à Paris, les gens ne comprennent pas. Nous sommes très étonnés de voir que les Niçois ne connaissent pas cette ville pourtant si connue dans le monde entier. On finit par rencontrer une personne qui nous comprend et nous explique par la même occasion la bonne prononciation pour dire Paris… C’est le soir, nous sommes toujours à Nice, il fait très froid et il pleut. Tous nos habits sont mouillés. Nous avons faim et n’avons pas assez d’argent pour aller à Paris. Nous décidons d’aller nous abriter dans une église mais le curé refuse de nous accueillir. Nous le supplions mais il nous demande de partir. C’est comme si la porte de Dieu s’était fermée devant nous. Nous repartons à la gare en pensant que « l’ennemi de Dieu », c’est à dire la police, va nous arrêter ce qui nous permettrait d’avoir un toit pour le soir. Nous nous faisons arrêter à la gare. Le policier nous demande des papiers que nous n’avons pas. Je pense alors que nous sommes des réfugiés sans frontières. La agents nous passent les menottes avec les mains derrière le dos et nous font monter dans une voiture avec le gyrophare et la sirène mis en marche. Dans la ville, les passants doivent penser que les policiers ont arrêté des gens dangereux alors que nous ne sommes que des réfugiés ! Ils nous emmènent au commissariat, nous enferment dans une cellule et nous attachent une main à une barre en hauteur. Quand on leur demande d’enlever la menotte, en raison de la douleur et parce que de toutes façons nous ne pouvons nous échapper, les policiers se moquent de nous. Ensuite, ils nous emmènent dans une autre cellule pour passer la nuit. Dedans, il n’y a absolument rien et nous sommes tous mouillés. On demande une couverture et avons pour seule réponse les moqueries du policier. Nous dormons par terre avec nos habits mouillés. En m’endormant, je repense à mon ami afghan qui m’avait dit que la France était un pays très accueillant.
Le lendemain, le policier vient avec un interprète Dari ; ils nous demandent à plusieurs reprises si on veut rester en France ou partir en Angleterre et je lui réponds à chaque fois que je veux rester dans ce pays. Il nous donne un papier et nous laisse sortir du commissariat. Nous retournons à la gare où nous rencontrons un compatriote en difficulté. Il nous explique qu’il a acheté un billet de train mais qu’un policier le lui a confisqué et l’a conduit en prison le soir. Le lendemain, son billet n’est plus valable. Cela était fait exprès par le policier pour que cette personne se trouve démunie. Comme nous n’avons pas assez d’argent pour acheter le billet de train, nous essayons de monter directement dans celui-ci mais le contrôleur nous empêche de le faire. Nous passons donc une nouvelle nuit dehor à Nice. Le lendemain, nous entrons dans un train mais nous faisons arrêter par le contrôleur que je supplie de nous laisser aller à Paris. Je propose de lui donner ma veste, mes chaussures et la bague turquoise qui était un cadeau de mon père. Je lui propose même de travailler dans le train (pour laver les toilettes par exemple) mais il refuse et nous devons descendre du train à Cannes. À la gare de Cannes, nous arrivons à prendre un bus pour aller à Paris mais nous nous trompons et prenons un véhicule pour touristes. Nous arrivons dans une très belle ville mais ne savons pas où nous sommes. Nous disons au chauffeur que nous voulions aller à Paris, il est très surpris et nous explique qu’il faut revenir à Saint Raphael et prendre le train pour aller à Paris. À Saint Raphaël, nous essayons de monter dans le train sans billet mais les contrôleurs nous empêchent de le faire. Ce jour là, nous n’avons pas de chance ! Il pleut encore, nous cherchons une place et nous dormons à une terrasse de café. Le lendemain, nous retournons à la gare et, grâce à Dieu, nous réussissons à prendre le train jusqu’à Paris. Dans cette ville, nous demandons l’asile et dormons dehors sur des cartons. Notre situation est très mauvaise. Des fois, je regrette de ne pas être un chien car en Europe la situation des chiens est meilleure que celle des étrangers comme nous.
Jawad (Avril 2012).