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Rabee Jaber, Les Druzes de Belgrade, 2015, pp. 265-266.
- As-tu quelque chose à dire ?
- Hanna rouvrit les yeux et, à travers un nuage de vapeur, aperçut l’agha qui léchait le sirop sur ses lèvres en attendant qu’il parle.
- Je suis Hanna Yaacoub. Je vendais des œufs sur le port de Beyrouth. Les soldats m’ont frappé au visage, m’ont cassé les dents et m’ont envoyé en bateau à Belgrade à la place du prisonnier druze. Je suis chrétien, je ne sers pas dans l’armée du sultan et jamais, de toute ma vie, je n’ai porté de fusil ni d’épée. Je vous en conjure, ne me coupez pas la main pour cet œuf. Je mourais de faim.
- Tu es donc bien muet ? Hanna s’aperçut alors qu’il avait parlé dans sa tête et que personne n’avait rien entendu.
- Mettez-le en prison. Et quand la neige aura fondu, vous l’enverrez à Priština.
Le secrétaire consigna le jugement de l’agha dans son registre.
- Et pour sa main ?
- Non, ne lui coupez pas la main.
- Mais il a volé un œuf !
- Il n’a pas volé la poule.