Vers l’époque de ma première communion, faisant partie en qualité d’externe d’une école dirigée par un prêtre (vieux priseur à face de corsaire espagnol, originaire du Roussillon, qui pinçait ferme quand on était pas sage), je reçus comme livre de prix du cardinal Wiseman, Fabiola. Dans ce livre, peinture des malheurs qu’endurèrent les chrétiens sous la persécution romaine, est racontée l’histoire – avec gravure à l’appui – d’une jeune vierge qu’on supplicie, liée à un chevalet, en lui désarticulant peu à peu bras et jambes. Je ne lus pas en entier l’insipide roman, mais je me passionnai pour cet épisode. Je vois encore le visage convulsé de la martyre, ses longs cheveux défaits et ses pieds nus lacés de cordes ; il s’agit, je crois, d’une fille du peuple, vêtue d’une tunique misérable, et entourée de centurions et légionnaires à face brutale. Un treuil de bois sert à tendre les cordes.
Ce souvenir se mêle à celui, plus ancien mais plus précis (car je suis retourné au même endroit, avec quelle émotion ! il y a sept ans environ), d’une promenade que ma mère me fit faire très jeune au Musée Grévin.
En même temps qu’un tableau de la guerre russo-japonaise – le siège de Port-Arthur, je crois avec au premier plan un cadavre japonais à la tête trouée, image de carnage qui me hanta longtemps – je vis là les fameuses catacombes, les chrétiens nus derrière les grilles qui les séparent des lions, auxquels ils sont promis et cette belle femme de cire, toute nue, en grandeur naturelle, allaitant ou tenant dans ses bras un enfant à demi recouvert par ses beaux cheveux, dont le lourd manteau noir tombe sur son dos et sur ses mamelles que les crocs des fauves déchireront bientôt, les vidant entièrement de leur sang et de leur lait. Instinctivement je m’identifiais aux chrétiens, et j’avais peur autant des lions mal peints sur le décor que des statues de cire, sortes de cadavres étrangement momifiés et d’une certaine manière désirables, avec leur chair nue, impassible et rosée.