Sybille de Pury, Paris : Les Empêcheurs de penser en rond, 1998
Dans le traité du malentendu, Sybille de Pury décrit des dispositifs cliniques ou de médiation dans lesquels intervient, le plus souvent possible, un interprète médiateur parlant la même langue mais aussi ayant les mêmes origines que la famille. Le français pourrait régulièrement être utilisé mais, pour elle, il est souvent une langue instrumentale pour les migrants et ne traduit pas suffisamment leurs émotions. Dans ces cadres, l’utilisation de la langue maternelle permet d’accéder au monde dont on parle, de rendre présent le système de pensée culturel de la famille et par l’évocation de ce que diraient les personnes partageant cette langue, des références culturelles à propos de la même situation. L’interprète fait ressortir le contexte culturel d’où sont issus les mots et permet de discuter de leurs nuances. Ainsi les énoncés se multiplient, se complexifient et la fonction de l’interprète n’est pas conçue comme « un palliatif à l’incompréhension provoquée par la division des langues, mais plutôt comme une situation interlocutive d’une richesse insoupçonnée » . Sybille de Pury pointe la tendance des occidentaux à espérer qu parler dans la même langue, en l’occurrence le français, suffit à une bonne compréhension ou à nous mettre d’accord. Alors qu’elle met en évidence que l’utilisation de la langue maternelle est propice au surgissement de discours inattendus. Certaines familles reçues peuvent insister pour effectuer les consultations en français afin d’éviter ces énoncés inattendus, ces mots et les « théories », associées, ainsi elles espèrent ne pas faire surgir les interprétations traditionnelles. Une autre fonction de l’interprète, mise en avant : il écarte la parole directe pour passer à une parole « indirecte ». Cette parole apparait plus créative, plus active. Ce passage du « je » au « il » rend la parole de chacun publique et implique encore plus celui qui l’énonce. Par l’intermédiaire de l’interprète la parole devient sociale et ainsi « se fait performative : dire est alors faire » .
(Ouvrage réédité sous le titre Comment on dit dans ta langue ? Pratiques ethnopsychiatriques, Paris : Les Empêcheurs de tourner en rond, 2005.)