Terre d’asile, terre de deuil est un des rares essais d’orientation psychanalytique consacré à la souffrance psychique des exilés. Il parait quelques mois après La vie psychique des refugiés d’Elise Pestre (Payot, 2010) et 27 ans après l’ouvrage de Rebecca et Léon Grinberg Psychanalyse du migrant et de l’exilé (Césura Lyon, 1987) !
S’appuyant sur une série d’entretiens qui rendent insuffisamment compte des multiples conditions de l’exil, - c’est le point faible de sa thèse - Martine Lussier s’attache à définir une psychopathologie de l’exilé en examinant les rapprochements possibles entre travail de deuil et d’exil à partir de la théorie psychanalytique du deuil.
Martine Lussier insiste sur l’exil comme une expérience qui nécessite un effort important d’adaptation physique et psychique.
Il exige un remaniement identitaire au sens de Jorge Semprun lorsqu’il écrit « Accepter de devenir un autre pour devenir soi-même, » dans ce cas l’exilé accepte la mort d’une partie de soi, de son identité. Ce travail de transformation n’est possible qu’à condition d’un apaisement économique qui permet des changements plus profonds ; il suppose la sécurité physique, condition nécessaire mais pas suffisante.
L’exil est plus une expérience de séparation (avec la mère patrie) que de perte. La perte, par son irréversibilité, contraint à un travail psychique de représentation alors que la séparation peut le figer : la privation n’est pas la frustration.
Et si pour Freud un exil est réussi lorsque l’exilé a recouvré ou conservé la capacité d’aimer et de s’accomplir sur le plan social alors la qualité du nouvel environnement humain peut avoir un effet facilitateur du changement, en particulier en proposant des figures de déplacement à des investissements objectaux contrariés, de la sphère du privé comme du social.
Les notes ci-dessous sont extraites de la préface de Claire-Martine François-Poncet :
« Cette recherche posthume vise à confronter le processus psychologique de l’exil aux éléments constituants le travail de deuil.
Martine Lussier limite sa recherche aux conséquences psychologiques de l’exil lié à un éloignement forcé du pays d’origine de nature politique.
Son épreuve obligera à des transformations importantes de l’identité à plusieurs niveaux, social et personnel. En outre la dévalorisation menace la personne à partir d’une violence réelle engendrant culpabilité et persécutions réelles. Ces spécificités engagent des questions fondamentales : dans quelle mesure peut-on appliquer le modèle psychanalytique du deuil à une situation de perte violente qui concerne un environnement social et personnel, et non plus un être humain dans sa condition naturelle de mortel ? Comment distinguer dans l’identité les constituants intrapsychiques et sociaux auxquels nous renvoient respectivement deuil et exil ?
Trois dimensions communes qui justifient le rapprochement à un niveau général avec le deuil : la perte suscite un sentiment de douleur et oblige à un renoncement. Mais la patrie existe toujours alors que le mort a disparu : le renoncement est-il comparable ? Et lorsque l’objet n’est pas mort ou commence l’épreuve de réalité ?
De quelle nature est le processus psychique de l’exil ?
S’il est adéquat de parler d’un travail de deuil dans la perspective psychanalytique, dans l’exil, « il s’agit d’apprécier qu’elle est l’exigence et la nature du travail psychique engagé par la perte et de vérifier s’il n’y a pas d’autres « solutions » qu’un travail psychique, que la résolution de la tension ne passe pas par la décharge dans le comportement ou dans les somatisations. »
La centration sur les problèmes de survie et d’adaptation dans un premier temps peut permettre de différer le travail psychique. Ce processus d’adaptation sollicite le Moi mais se traduit-il pas par des transformations plus profondes de la personne ?
Des figures exemplaires démontrent que l’exil peut-être à l’origine d’une activité créatrice ou d’un destin hors du commun : « il gagne la liberté (de penser ou d’agir) dont le privait son exécuteur. Mais cette liberté est souvent chère payée et l’épuisement psychique peut l’emporter lorsque les situations traumatiques mettent en danger la capacité de représentation. »