Dans les années 1980, l’auteur, François Sureau, jeune énarque, a été détaché à la Commission de recours des réfugiés (ancien nom de l’actuelle Court Nationale du Droit d’Asile). Cette commission a pour mission de statuer sur le sort des demandeurs d’asile politique dont la demande a été une première fois rejetée.
La commission doit se pencher sur le cas de militants basques liés à l’ETA et à sa branche armée. Or, la règle veut que le statut de réfugié politique ne peut être accordé à des personnes se battant avec les armes dans un pays revenu à la démocratie.
Le narrateur retrace dans ce récit, sa rencontre avec Javier Ibarrategui qui dix ans après son arrivée en France sollicite la protection de notre pays. Ce dernier, ancien militant, explique à la commission que si on l’oblige à retourner en Espagne, il sera exécuté par les escadrons de la mort. Cependant, si la France ne lui accorde pas le statut de réfugié politique, il ne se dérobera pas à cette décision et rentrera dans son pays natal.
La commission à travers chacun de ses membres se trouve confrontée à un dilemme :
appliquer les règles de la commission liées à la situation politique et aux relations diplomatiques entre la France et l’Espagne ou bien entendre la demande de cet homme avec sa situation particulière et son histoire.
Cette décision aura des conséquences morales sur l’ensemble des protagonistes, sur l’auteur en particulier qui, trente ans plus tard, livre ce témoignage.
Ce récit, sobre et sans complaisance, illustre de manière plus générale la situation de demandeurs d’asile politique dont le sort est décidé par une instance aux prises avec des enjeux et une procédure complexe.
Extrait.
« A la demande du président, il s’est levé pour présenter ses observations. Il allait donc se défendre lui-même. C’était fréquent, en ce temps-là.
Il avait une voix basse et rauque de fumeur – ses doigts étaient d’ailleurs jaunis par le tabac–, avec des inflexions métalliques parfois. Il parlait lentement, avec dignité. Il a commencé par remercier, à travers nous, la France de l’avoir accueilli pendant les dix premières années. Il a ajouté, avec une ironie imperceptible, qu’elle y avait eu du mérite, puisque l’administration aurait pu considérer que les actes violents auxquels il avait participé lui interdisaient de bénéficier de la convention de Genève.
Il s’est réjoui de la chute du franquisme. Puis il a eu un silence et, d’une voix plus sourde, il nous a dit que les polices parallèles étaient toujours actives, et qu’il serrait très probablement exécuté s’il rentrait en Espagne. » (p. 43-44)