Livre émouvant que cet ouvrage autobiographique dont la rédaction a commencé en 2005, soit six ans avant la mort de son auteur survenue en juin 2011. Rappelons que ce communiste espagnol, réfugié en France à l’âge de 19 ans a participé aux premières heures de la résistance en effectuant des actions de sabotage contre l’armée allemande. Cette activité lui a valu d’être arrêté et torturé par la Gestapo avant d’être déporté au camp de
Buchenwald d’où il ramènera, bien des années plus tard, ce magnifique ouvrage qu’est « l’Ecriture ou la Vie ». Dans « Exercices de Survie » qui est un livre inachevé, l’auteur raconte de façon très simple, très pudique, sans pathos ni vantardise, son expérience de la torture à laquelle un frère d’armes l’avait par avance, formé en lui détaillant les méthodes qu’emploieraient ses futurs bourreaux. Pourtant, « nul ne peut prévoir ni se prémunir contre
une possible révolte de son corps sous la torture, exigeant benoîtement bestialement, de votre âme, de votre volonté, de votre idéal du Moi, une capitulation sans conditions : honteuse mais humaine, trop humaine. Ce qui est inhumain, alors, surhumain en tout cas, c’est d’imposer à son corps une résistance sans fin à l’infinie souffrance. D’imposer à son corps qui n’aspire qu’à la vie, même dévalorisée, misérable, même traversée de souvenirs humiliants, la perspective lisse et glaciale de la mort.… Pour qu’elle ait un sens, une fécondité, il faut postuler, dans la solitude abominable du supplice, un au-delà de l’idéal du Nous, une histoire commune à prolonger, à reconstruire, à inventer sans cesse. La continuité
historique de l’espèce dans ce qu’elle recèle d’humanité possible, sur le mode de la fraternité : ni plus ni moins ». (Page 34) en tout cas « il serait absurde, même néfaste pour une juste conception de l’humanisme possible de l’homme, de considérer la résistance à la torture comme un critère moral absolu... Les valeurs et les vertus proprement humaines, c’est à dire
assez essentielles pour fonder la transcendance d’un idéal du Moi altruiste,
historiquement chargé de futuritions collectives, ne peuvent se concevoir ni se mesurer uniquement à l’aune de la capacité de résistance à la torture » (page 48). Retenons de ce récit très simple, qui fuit en permanence « l’indécence même de l’écriture » que la torture n’est pas seulement l’expérience d’une solitude abominable mais que c’est aussi celle de la fraternité… Une magnifique leçon de vie, d’aucuns diraient de résilience !